09/18/2025 | News release | Distributed by Public on 09/18/2025 09:41
L'ex-producteur Gilbert Rozon est accusé par neuf femmes d'agressions sexuelles. Le procès civil, qui a débuté en décembre 2024, entre dans sa dernière phase puisque les plaidoiries finales des parties commenceront le 22 septembre.
- Flickr / Louis Longpré
Le 22 septembre s'amorcera la conclusion du procès de Gilbert Rozon avec les plaidoiries finales des parties. Le fondateur de Juste pour rire est accusé d'agressions sexuelles par neuf plaignantes. D'autres affaires liées à des violences sexuelles ont récemment fait les manchettes: en juillet, cinq joueurs de hockey ont subi un procès pour agressions sexuelles, alors qu'en septembre, Donald Trump était condamné pour diffamation sur fond d'accusation de viol pendant que Gérard Depardieu apprenait son retour devant le tribunal pour viol. Face à tous ces procès très médiatisés, la professeure Catherine Rossi, de l'École de criminologie et de travail social, fait la lumière sur les violences sexuelles et apporte des nuances sur les recours et les solutions pour les victimes.
Ces procès sont-ils la preuve que la perception et le traitement des violences sexuelles ont changé depuis le mouvement #MeToo?
Il y a énormément de choses qui ont changé depuis #MeToo. Toutefois, les choses ont-elles suffisamment changé? Non. Nous sommes arrivés à un stade où on réalise que le problème de la violence faite aux femmes n'est pas qu'un problème pénal, c'est un problème social. On rapporte souvent qu'une femme sur trois a été victime de violence sexuelle. Selon moi, c'est faux. Je ne connais pas une seule femme au Canada qui, entre sa naissance et son décès, n'a pas vécu un épisode de violence sexuelle ou conjugale. Le harcèlement prend différentes formes: un mot dans la rue, une main déplacée…
Toutes les femmes canadiennes ne pourraient faire appel aux tribunaux, c'est impossible. Et on ne peut pas créer des infractions pour tous les comportements sexuels déplacés. Il y a donc des limites au recours judiciaire.
C'est pourquoi il est urgent qu'on reconnaisse l'ampleur du phénomène sur le plan social et qu'on se demande pourquoi l'immense majorité des violences sexuelles ne seront jamais dénoncées devant un tribunal. En fait, il faut se demander pourquoi beaucoup de ces violences ne seront jamais dévoilées tout court. Bref, il y a un décalage entre la soif de justice des femmes victimes, la soif de justice des proches qui les soutiennent et la réponse judiciaire qu'on obtient contre les violences sexuelles.
Durant son procès, Gilbert Rozon s'est positionné comme une victime, reprochant aux plaignantes de convoiter sa fortune. Que pensez-vous de cette stratégie?
J'ai toujours trouvé absurde qu'il y ait deux groupes de victimes à qui l'imaginaire populaire n'accorde pas la légitimité morale de demander de l'argent après un préjudice: les proches de personnes assassinées et les femmes victimes de violences sexuelles. Les premiers se font dire que l'argent ne remplace pas leur enfant, leur conjoint, leur parent. Les secondes se font dire que demander une compensation financière pour des violences sexuelles est un comportement malsain, qu'on associe plus ou moins implicitement à la prostitution. Pourtant, dans tous les autres cas, la société n'a aucun malaise à indemniser les victimes ou leurs proches. Personne ne s'offusque qu'une personne victime d'un accident de la route ou d'un accident de travail soit indemnisée. Les familles sont indemnisées dans des cas d'accidents de voiture mortels.
Étrangement, lorsqu'il est question de harcèlement sexuel, le rapport à l'argent est soudainement vu comme malsain. Pourtant le Code civil du Québec permet l'indemnisation de tout préjudice contractuel ou extracontractuel. Malgré tout, aussitôt que les notions de sexe et de genre sont impliquées dans une infraction, il semble y avoir un tabou.
Pourquoi les femmes violentées ne pourraient-elles pas recevoir de l'argent? En fait, la question est plutôt pourquoi seraient-elles les seules à ne pas pouvoir en recevoir sans être jugées? C'est une question que je trouve fascinante. La société devrait s'interroger sur ce que cache ce malaise. Si un enfant est abusé sexuellement, la société voudra le protéger et sera d'accord avec une compensation financière. Mais si la personne abusée est une femme de 18 ans, des réticences apparaissent tout à coup. Pourquoi demande-t-elle de l'argent? J'aimerais qu'on cesse de se questionner sur le comportement des femmes qui dénoncent et qu'on se questionne plutôt sur notre comportement par rapport à elles. La société devrait s'interroger sur ses valeurs. Pour ma part, je refuse que les crimes qui concernent des femmes soient traités différemment.
Catherine Rossi est professeure à l'École de criminologie et de travail social. Elle est aussi la directrice scientifique de l'équipe de recherche sur la justice sociale et les violences structurelles (Vi-J) du groupe Recherches appliquées et interdisciplinaires sur les violences intimes, familiales et structurelles (RAIV).
Les procès sur les violences sexuelles qui impliquent des gens connus ressemblent parfois à des spectacles. Permettent-ils vraiment à la société de se questionner et d'évoluer?
Le fait qu'on parle de ces violences est déjà quelque chose de positif. Et parmi tout ce qui sera dit ou écrit par les journalistes, il y aura parfois des réflexions un peu plus profondes. La société évolue tranquillement.
Toutefois, les procès ne sont pas la seule façon d'évoluer collectivement ni la seule façon d'aider concrètement les victimes. Il existe d'autres voies, notamment les services de justice réparatrice, comme Équijustice, qui peuvent accompagner les personnes qui ne souhaitent pas dénoncer publiquement ou qui ne peuvent plus le faire. L'ADISQ a mis en place un comité de réintégration pour les artistes «cancellés», qui favorise des formes de justice réparatrice et sociale. Les centres de prévention du harcèlement dans les universités, les groupes de soutien comme Viol-Secours, les initiatives pour les femmes autochtones violentées sont d'autres voies possibles. Tout cela et bien d'autres initiatives constituent un éventail de réponses qui permettent aux victimes de se reconstruire.
Il faut arrêter de penser que la justice, c'est uniquement punir l'agresseur. Parfois, l'agresseur n'est même plus de ce monde, mais ça ne veut pas dire que la victime doit rester sans réponse. Il faut élargir notre conception de la justice et reconnaître que la société tout entière a un rôle à jouer.