12/21/2025 | Press release | Archived content
Q - Notre premier invité ce soir est Benjamin Haddad, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Ministre délégué chargé de l'Europe. Je voudrais qu'on revienne ensemble tout d'abord sur cette annonce du Président de la République devant les forces françaises aux Émirats arabes unis.
[…]
Q - C'était dans les tuyaux, mais c'est donc confirmé aujourd'hui. Pour quelle finalité, au fond, Benjamin Haddad ? Est-ce qu'on a vraiment besoin de cela, d'un nouveau porte-avions pour montrer qu'on est encore une puissance mondiale ?
R - C'est une décision majeure parce que l'on est dans un monde qui est plus dangereux. On est dans un monde de conflictualité géopolitique et cela, c'est durable. Et donc, c'est au fond dans la continuité des décisions militaires qui ont été prises par le Président de la République au cours des huit dernières années. Sur les deux mandats d'Emmanuel Macron, on aura doublé le budget militaire de la France après des décennies de désarmement pour se préparer précisément à un monde plus dangereux. Et avoir ce deuxième porte-avions, c'est renforcer notre capacité de projection, c'est renforcer nos capacités militaires, technologiques, industrielles. C'est se donner un cap, celui de 2038, et donc c'est confirmer effectivement que la France est une grande nation, est une puissance de premier plan, c'est un acteur majeur des relations internationales, et donc on s'en donne les moyens.
Q - Il ne sera effectivement mis en service qu'en 2038. Il peut se passer beaucoup de choses d'ici là ?
R - Mais raison de plus pour se préparer, raison de plus pour ne pas attendre la dernière minute, pour faire ces efforts, par exemple, d'augmentation de budget. Je le dis à un moment où on sait que l'on est dans des débats budgétaires aussi au niveau national.
Q - Ça peut changer d'ailleurs quelque chose, les discussions budgétaires en cours, sur le budget que représente ce porte-avions entre cinq et dix milliards, c'est ça ?
R - Typiquement, si nous n'avons pas de budget, on ne fait pas l'augmentation du budget militaire qui était prévue pour le projet de loi de financement. Et on le voit, encore une fois, on a une guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine à nos portes, une menace que fait peser la Russie sur nos démocraties, avec ses incursions aériennes de drones, ses attaques cyber contre nos infrastructures. On a des États-Unis qui se replient, qui pivotent, qui considèrent qu'aujourd'hui, l'Asie est leur priorité, donc qui nous laissent de plus en plus seuls pour assurer notre propre sécurité. Cela, c'est ce que nous disons depuis 2017. Il faut y mettre les moyens, il faut se préparer. C'est des travaux de temps longs quand on parle de ces grands programmes d'armement, un porte-avions, mais les autres programmes d'armement qui ont pu être lancés ces dernières années dans beaucoup de sujets, au niveau européen comme au niveau national. Il faut y mettre les moyens, il faut y mettre le temps. Et c'est pour cela que l'on a besoin de cette vision stratégique qui a été dévoilée par le Président de la République.
Q - Il va s'appeler comment d'ailleurs ce porte-avions ? Le porte-avions Hollande, Sarkozy ?
R - Cela, ce sera un débat pour une autre fois, mais vous pourrez me poser cette question.
Q - Qui décide de cela ?
[…]
Q - Un nouveau porte-avions parce que la menace évolue, elle change. Il y a aussi les discours qui changent sur le plan diplomatique. Je fais évidemment référence à ces échanges à distance auxquels on assiste ces dernières heures entre Emmanuel Macron et le Kremlin. Vladimir Poutine qui a donc répondu à l'ouverture du président français, disant depuis Bruxelles, vous étiez avec lui d'ailleurs, qu'il peut redevenir utile, je le cite, de parler à Vladimir Poutine. Du coup, Vladimir Poutine se dit prêt au dialogue. Il faut donc parler avec les dictateurs, Benjamin Haddad ?
R - Au fond il faut prendre notre sécurité donc notre diplomatie en main et ne pas la laisser à d'autres et par exemple aux États-Unis seuls. On a cette guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine qui est un enjeu de sécurité majeur pour nous. Et donc bien sûr, dans ce Conseil européen que vous avez mentionné, on a pris des décisions historiques, celle de donner de la visibilité à l'Ukraine sur le soutien financier à son effort militaire comme son effort économique : 90 milliards d'euros d'emprunts européens, d'eurobonds, qui ont été décidés par les pays européens pour, là aussi, continuer à soutenir l'Ukraine. On avait, quelques jours auparavant, pris aussi la décision de renforcer l'immobilisation des avoirs russes qui sont gelés, qui, vous le savez, avant cela, étaient soumis tous les six mois à des renouvellements, , à l'unanimité, ce qui créait vraiment une vraie insécurité sur leur immobilisation. Donc là, on a pris la décision de les immobiliser jusqu'à ce que la Russie paie des réparations. Cela, c'est pour le volet du soutien à l'Ukraine. C'est pour montrer que les Européens prennent en charge leur défense et leur sécurité. Ils sont les premiers soutiens financiers aujourd'hui de l'Ukraine.
Q - Je vais vous citer quelqu'un, Benjamin Haddad : « On ne fait pas confiance à Vladimir Poutine parce que tout dans la posture de la Russie de Vladimir Poutine depuis 20 ans pousse à l'agression. Volodymyr Zelensky est un héros dans cette guerre. Il y a un seul dictateur, c'est Vladimir Poutine. » Qui a dit ça ?
R - Mais cela pourrait être moi, ça pourrait être nous…
Q - C'est vous.
R - Bien sûr.
Q - Et pourtant, il faut aujourd'hui parler avec lui. Qu'est-ce qui a changé ?
R - Mais attendez, la diplomatie, c'est le dialogue qui est basé sur un rapport de force. On défend nos intérêts. Il ne s'agit pas de parler de confiance. Il y a là un processus diplomatique en cours qui est mené avec les Américains et les Ukrainiens. L'objectif, ce n'est pas de faire confiance. L'objectif, c'est de trouver une voie diplomatique pour mettre fin à cette guerre. Parce que si demain, on a un cessez-le-feu ou un accord de paix, il faudra donner des garanties de sécurité à l'Ukraine qui passeront par la suite à un soutien à l'armée ukrainienne et, on y a travaillé au sein de la Coalition des volontaires avec nos partenaires, au déploiement de contingents européens, là aussi pour dissuader. Et donc, vous voyez, on peut dissuader, avoir un discours de fermeté absolue, défendre nos intérêts et avoir ce travail diplomatique. Et d'ailleurs, il a déjà été mené par le Président.
Q - Ça fait des mois que le président de la République nous répète que finalement, dialoguer avec Vladimir Poutine, ça ne sert à rien. Et de fait, on peut considérer que ceux qui continuent à dialoguer avec Vladimir Poutine aujourd'hui, en l'occurrence les Américains, le président lui-même, son envoyé spécial Steve Witkoff, n'ont rien obtenu de la Russie. Il n'y a qu'une concession de la part de Vladimir Poutine. On est d'accord ?
R - Déjà, je vous rappelle qu'il y a eu un échange diplomatique entre le Président et le président Poutine au mois de juillet, pour parler notamment de la question iranienne, au moment où il y avait les frappes iraniennes.
Q - Mais on n'était pas sur de possibles concessions russes à l'Ukraine…
R - Et une fois de plus, l'enjeu ici, dans le cadre d'un rapport de force, en coordination avec nos alliés, en coordination avec le président Zelensky, avec nos alliés européens, nous aussi, nous aussi, de prendre nos responsabilités dans la diplomatie, sans la moindre naïveté, avec une clarté absolue, sur les intentions de la Russie. La Russie qui continue à bombarder tous les jours : huit morts à Odessa vendredi parmi les civils, deux morts civiles à Kharkiv samedi, des bombardements quotidiens sur la ligne de front.
Q - Est-ce que cela s'est fait avec le feu vert du président Zelensky ? Est-ce qu'Emmanuel Macron a déclaré cela en en ayant d'abord parlé au président Zelensky ?
R - Vous savez que le Président de la République est en échange permanent avec le président Zelensky. Et d'ailleurs, c'était aussi le cas lorsque nous avions eu des échanges diplomatiques avec la Russie. Le Président avait courageusement essayé de trouver une voie diplomatique à cette guerre. C'est la Russie de Poutine qui avait choisi l'agression et la guerre. Avant le 24 février 2022, on le faisait très souvent aussi en coordination et parfois à la demande du président Zelensky. Donc bien sûr, l'enjeu, c'est de soutenir nos partenaires ukrainiens, de défendre nos intérêts, de ne pas laisser d'autres assurer notre sécurité à notre place et de le faire avec une lucidité absolue sur les intentions, sur la menace.
Q - J'entends l'intérêt de renouer le dialogue, mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi cela intervient maintenant. Qu'est-ce qui a changé ? Parce qu'au fond, ce que vous dites ce soir, vous auriez pu le dire il y a trois semaines.
R - Non, mais je vais vous le dire très simplement. Ce qui a changé, c'est que l'on voit qu'il y a aujourd'hui des échanges diplomatiques récurrents entre les Américains, les Russes, les Ukrainiens. Et donc l'objectif, bien sûr, c'est, dans la continuité…
Q - D'être autour de la table pour ne pas que l'accord se fasse sur notre dos…
R - Bien sûr, mais c'est ce que l'on a toujours dit. Et c'est la même raison d'ailleurs pour laquelle, encore une fois, on fait l'immobilisation des avoirs gelés. C'est la même raison pour laquelle on se met d'accord sur cet emprunt de 90 milliards pour l'Ukraine. C'est précisément pour dire, nous nous occupons de notre sécurité dans tous ces volets.
Q - Sur ce sujet des avoirs gelés, il a fallu renoncer parce qu'il y avait une opposition conduite par la Belgique, pas seulement, il y avait d'autres pays derrière elle. On a bien vu quand même que les Russes avaient très peur de cette perspective. Ils l'ont évoqué à de nombreuses reprises. Ils ont menacé de répliquer par la voie juridique, mais évidemment pas seulement. Est-ce qu'il n'y a pas une forme d'échec à n'être pas parvenus à un accord sur ces avoirs gelés parce que ça aurait envoyé un signal très fort dont on s'est privé. Est-ce que, quelque part, l'Europe ne s'est pas un peu dégonflée ?
R - Non, puisque le risque, c'était de sortir de ce Conseil européen sans avoir donné la visibilité financière à l'Ukraine. C'était de sortir de ce Conseil européen, ce qu'espérait la Russie, sans accord du tout pour aider l'Ukraine. On avait une possibilité qui était les avoir gelés. Vous l'avez dit, cela n'a pas fait consensus autour de la table. Il y avait une autre possibilité qui était un emprunt européen comme on a su le faire à d'autres moments de crise, à d'autres tournants historiques comme la crise Covid. Là, on s'est mis d'accord sur 90 milliards qui permettent de donner la visibilité, le soutien financier dont les Ukrainiens ont besoin pour se défendre. Et d'ailleurs, les Ukrainiens ont été les premiers à saluer cette décision. Donc, il ne faut pas s'y tromper là-dessus. Et je voudrais le dire quand même, la France, le Président de la République ont joué un rôle pivot parce qu'on aurait pu sortir de ce Conseil européen avec, au passage, un Mercosur adopté en force sans aucune protection pour nos agriculteurs et aucun accord pour le soutien à l'Ukraine. Là, on a un accord pour l'Ukraine. On continuera de soutenir l'Ukraine et on continuera à cet égard de défendre nos intérêts de sécurité.
Q - Il faut qu'on en parle du Mercosur parce que vous avez publié une tribune ce matin dans « La Tribune dimanche » et dans laquelle vous dites que sur le Mercosur, la France a gagné son bras de fer. Alors là, franchement, j'ai du mal à vous suivre. À part du temps, je ne vois pas ce que la France a gagné.
R - Mais attendez, moi j'ai vu les commentaires d'éditorialistes ou de politiques qui nous expliquaient que la France allait se faire rouler dessus, que le Mercosur allait être adopté en passage en force et qu'on n'allait avoir aucune protection pour nos agriculteurs. La France a toujours eu une ligne très claire qui était « le compte n'y est pas » et l'accord qui a été négocié par la Commission n'est pas acceptable en l'état. Pourquoi ? Parce que l'on veut…
Q - Moi, Benjamin Haddad, j'ai vu 15 invités, de tous bords, sur ce plateau, qui sont tous unanimes et qui disent tous que ce que la France a gagné, c'est seulement trois semaines, rien de plus.
R - Mais moi, ce que je constate, c'est que cet accord, il aurait passé en force sans les moindres protections. Nous avons travaillé avec nos partenaires, les Italiens, les Polonais, d'autres, qui ont les mêmes préoccupations que nous, notamment sur le volet agricole. On a dit des choses très claires. Premièrement, on a besoin d'une clause de sauvegarde, c'est-à-dire un frein d'urgence pour bloquer les importations quand elles viennent de déstabiliser une filière ou un marché. Là, il y a des propositions qui ont été faites par la Commission européenne, mais elles doivent être adoptées, elles n'ont pas encore été adoptées. Deuxièmement, on a besoin de réciprocité dans les normes, parce que c'est quand même quelque chose d'assez basique. On ne peut pas laisser rentrer des produits en Europe qui sont fabriqués avec des pesticides, avec des additifs alimentaires, qui sont interdits.
Q - Et le renforcement des contrôles.
R - Et le renforcement des contrôles.
Q - Trois garanties que vous allez essayer d'obtenir. Est-ce que vous allez y arriver, Benjamin Haddad ? Il vous reste trois semaines pour le faire.
R - On a soumis des exigences très claires à la Commission européenne. On n'est pas seuls, encore une fois, avec les Italiens et avec d'autres, pour dire, nous, on attend des réponses claires. Il y a eu des avancées, encore une fois, il y aura par exemple des contrôles qui vont commencer à partir du 1er janvier, cela, c'est une demande de la France d'avoir des contrôles effectifs pour ne pas laisser rentrer des produits interdits en Europe, donc on attendra des réponses très claires de la Commission européenne. De la même façon…
Q - Et si vous ne les avez pas, vous êtes d'accord qu'en disant ce soir que la France a gagné un bras de fer, si vous n'obtenez pas gain de cause sur ces trois mesures, trois sujets importants, pour vous ce serait un terrible désaveu, pour la France ce serait un terrible désaveu, donc vous vous engagez quand même ?
R - Ah mais de toute façon, la France s'opposera au Mercosur s'il n'y a pas ces trois conditions.
Q - Mais si vous êtes lâchés par l'Italie, ce qui est possible, il n'y aura plus de minorité de blocage et cet accord vous sera imposé…
R - Mais ce sont des demandes qui sont aussi formulées par nos partenaires. Je voudrais en rajouter une autre qui est très importante…
Q - Pas totalement sur la même ligne que le président français, vous le savez bien…
R - Je voudrais en rajouter une autre qui est très importante, c'est aussi la question de la PAC, parce qu'en parallèle de tout cela, nous sommes en train de négocier ce qu'on appelle le prochain cadre financier pluriannuel. C'est le budget sur sept ans de l'Union européenne.
Q - Et potentiellement 100 milliards de moins pour la PAC…
R - Exactement. On a 80% à peu près de la PAC, et donc 20% qui font l'objet d'une incertitude sur les revenus de nos agriculteurs. Et cela, cela crée, à juste titre, beaucoup d'anxiété chez les agriculteurs. Nous, on a demandé de façon très claire, il faut que 100% des revenus de nos agriculteurs, 100% des paiements directs de la PAC, soient préservés, sanctuarisés dans le prochain budget européen. Et cela aussi, cela fait partie des choses sur lesquelles nous attendons des réponses très claires et rapides de la part de la Commission européenne.
Q - Et vous nous dites ce soir que si vous n'obtenez pas gain de cause, la France ne signera pas ce traité ?
R - Je vous le dis.
Q - On en reparle, on se donne rendez-vous en janvier pour suivre évidemment ce sujet important.
R - Absolument. Et c'était les mêmes conditions d'ailleurs de décembre. C'était les mêmes conditions qu'à ce Conseil européen. C'est pour cela que nous avons dit de façon très claire « le compte n'y est pas » donc on doit se laisser plus de temps pour pouvoir obtenir ces contrôles, cette réciprocité sur les normes et des avancées sur la page.
Q - Et de nombreux agriculteurs vous attendent au tournant. Donc ce sera important d'en reparler. Merci d'avoir été avec nous dans le 20h BFM.
R - Merci à vous.