09/11/2025 | News release | Distributed by Public on 09/11/2025 16:07
Le titre de la conférence de Serge Lacasse, «L'IApocalypse musicale», faisait allusion aux inquiétudes qui secouent actuellement le milieu de la musique.
- Yan Doublet - Université Laval
Et si votre chanson préférée avait été écrite par une machine? Ce qui relevait encore récemment de la science-fiction est devenu une réalité bien tangible. Une réalité qui inquiète de nombreux acteurs de l'industrie.
À l'occasion d'une conférence présentée le 11 septembre dans le cadre du festival Fono, Serge Lacasse, professeur à la Faculté de musique de l'Université Laval, a abordé les enjeux éthiques, esthétiques et économiques liés à l'intelligence artificielle (IA) en musique.
D'entrée de jeu, le chercheur a proposé une expérience intéressante pour illustrer la porosité entre création humaine et artificielle: quatre duos d'extraits de chanson, dans des styles aussi variés que la musique indienne traditionnelle, le jazz, l'électro-pop et l'indie rock. Pour chaque duo, une pièce avait été générée par IA, l'autre composée et interprétée par des humains. Le public était invité à deviner laquelle était laquelle en levant la main.
Le résultat? Bluffant. La frontière entre l'humain et la machine s'est révélée étonnamment floue, peu de spectateurs parvenant à identifier avec certitude l'origine des morceaux.
Par cet exercice, Serge Lacasse a voulu montrer que l'IA s'impose désormais comme une composante indissociable du paysage musical. «L'intelligence artificielle est là pour rester. Il faut s'adapter et apprendre à s'en servir de manière créative, mais surtout éthique», a-t-il dit à ULaval nouvelles en marge de sa conférence.
Directeur du Laboratoire audionumérique de recherche et de création et lui-même musicien, Serge Lacasse suit de près les avancées de logiciels comme Suno, Udio et Moises. Il termine d'ailleurs un projet de recherche ayant permis à des artistes d'expérimenter ce type de technologie. Son message est clair: l'IA n'est pas l'ennemie de la musique, loin de là.
Plutôt que de considérer cette révolution comme une menace pour l'industrie, le professeur y voit des occasions de transcender les frontières de la création. Selon lui, les musiciens peuvent s'approprier ces outils, les détourner de leur usage initial et les transformer en véritables moteurs d'innovation.
«C'est toujours comme ça avec les nouvelles technologies: on les utilise autrement que prévu. À l'époque, les platines n'étaient pas conçues pour faire du hip-hop, ni le phonographe pour enregistrer de la musique. Ce sont des artistes qui ont détourné ces outils pour en faire quelque chose d'artistique. Les Beatles ont fait pareil avec la technologie multipiste. On verra comment les musiciens s'empareront de l'IA à leur tour.»
À ceux qui redoutent une disparition des métiers artistiques, il nuance: «Oui, ça va en enlever, mais ça va aussi en créer d'autres. C'est un transfert, comme il y en a toujours eu. Quand la batterie électronique est arrivée, plusieurs disaient que c'était fini pour les batteurs… mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Les gens veulent encore voir des humains. Ce sera pareil avec l'IA.»
Quant à la crainte d'une uniformisation esthétique de la musique générée par IA, il la juge légitime, mais estime qu'elle s'applique tout autant à la musique créée par des humains. «Quand les chansons deviennent redondantes, les gens décrochent, intelligence artificielle ou pas. Ce qui les attire, c'est la nouveauté.»
Au Japon, le virtuel a déjà trouvé sa place dans l'industrie musicale, et ce, depuis plusieurs années. Serge Lacasse cite l'exemple de Hatsune Miku, une chanteuse synthétique, créée grâce à la technologie Vocaloid, qui se produit sur scène sous forme d'hologramme.
Au-delà de la prouesse technique, c'est toute une culture qui s'est développée autour de ces artistes numériques. Le chercheur souligne que le public japonais entretient un rapport bien particulier avec ces figures virtuelles, qui attirent des milliers de personnes dans leurs spectacles.
Spectacle de Hatsune Miku
- transmediale, design akademie berlin
Le modèle Vocaloid reflète aussi une approche participative de la création: les fans peuvent composer leurs propres morceaux en faisant appel à l'IA avec la voix de Hatsune Miku. Si une chanson est retenue, elle rejoint le répertoire officiel et son auteur est rémunéré. «C'est toute une industrie qui a accepté de fonctionner autrement», observe le professeur.
- Serge Lacasse, professeur à la Faculté de musique et directeur du Laboratoire audionumérique de recherche et de création
Malgré son regard optimiste, Serge Lacasse ne minimise pas pour autant l'enjeu de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur. Il rappelle toutefois que l'intelligence artificielle ne fait, au fond, que prolonger une pratique qui a toujours existé: puiser dans les œuvres existantes pour en créer de nouvelles.
Certaines juridictions commencent à prendre les devants pour encadrer l'usage de l'intelligence artificielle dans la création musicale. C'est le cas de la Suède, pays réputé pour son écosystème musical innovant. Une nouvelle licence y a récemment vu le jour, permettant aux modèles d'IA de s'entraîner sur des œuvres existantes tout en assurant une rémunération équitable aux auteurs. Pour Serge Lacasse, cette initiative illustre bien qu'il est possible de concilier innovation technologique et respect des droits d'auteur.
Malgré les nombreux défis qui se posent, le conférencier demeure convaincu que l'industrie saura s'adapter - comme elle l'a toujours fait face aux grandes crises qui ont jalonné son histoire, de l'effondrement du modèle fondé sur la vente de disques à la montée en puissance du téléchargement en ligne.