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10/14/2025 | News release | Distributed by Public on 10/14/2025 11:14

Libye : deux gouvernements, une même impasse

Près de 14 ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye reste prisonnière d'institutions rivales et d'un statu quo qui étouffe ses aspirations démocratiques. Depuis Tripoli, l'envoyée de l'ONU dans le pays dresse le tableau d'un peuple qui réclame des urnes, et d'une classe politique engluée dans ses manœuvres.

Le 16 août dernier, la scène avait tout d'un acte de résistance civile. À Sahel Al Gharbi, dans l'ouest libyen, les locaux de la commission électorale avaient été incendiés. Qu'à cela ne tienne : les agents électoraux ont dressé des urnes à ciel ouvert. Sous la menace, les habitants ont voté. La participation a même atteint 71 %, signe éclatant, selon Hanna Tetteh, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Libye, de la soif de représentation politique de la population.

Plus de 25 municipalités ont ainsi bravé la peur, les milices et les sabotages pour organiser des scrutins locaux. Mais cet élan a été freiné net : dans l'Est, le parlement local a suspendu 16 élections, après en avoir déjà bloqué 11 autres en juillet. Une manœuvre qui, pour la cheffe de la MANUL, la mission de soutien politique onusienne dans le pays, illustre combien la transition libyenne reste prisonnière des rivalités entre autorités parallèles.

Labyrinthe institutionnel

UN Photo/Eskinder Debebe
Hanna Serwaa Tetteh, cheffe de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et Représentante spéciale du Secrétaire général pour le pays, informe le Conseil de sécurité depuis Tripoli.

Depuis 2011, la Libye vit dans un labyrinthe institutionnel. À l'ouest, un gouvernement d'unité nationale reconnu par l'ONU et dirigé par Abdel Hamid Dbeibah. À l'est, une Armée nationale libyenne aux ordres du maréchal Khalifa Haftar. Deux exécutifs antagonistes respectivement appuyés par des parlements distincts : le haut conseil d'État, à Tripoli, et la chambre des représentants, à Tobrouk.

« Je ne saurais trop insister sur les effets néfastes des institutions parallèles », a averti jeudi Mme Tetteh par visioconférence, lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur le pays : la coexistence de deux systèmes judiciaires, de deux budgets et d'une myriade d'autorités autonomes mine selon elle la légitimité même de l'État.

L'unité nationale promise après la guerre n'a jamais pris corps. Et la MANUL, présente sur le terrain depuis 2011, tente de maintenir une fragile cohérence dans ce pays morcelé, où la moindre nomination ou réforme peut devenir le prétexte d'un affrontement.

Une feuille de route menacée

Devant le Conseil, la diplomate ghanéenne a détaillé la feuille de route politique qu'elle lui avait soumise deux mois plus tôt. Cette dernière vise à unifier les institutions de l'État, renforcer l'unité du pays et organiser des élections présidentielles et législatives.

Mais les premières étapes se heurtent déjà à la lenteur des pourparlers entre les deux chambres rivales, qui ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la composition de la commission nationale électorale. « La Libye ne peut se permettre de nouveaux retards », a-t-elle lancé, appelant les responsables politiques à « assumer leurs responsabilités » et à s'engager dans le processus « de manière constructive ».

Faute de progrès, a-t-elle prévenu, la mission onusienne devra « poursuivre une autre approche » et demander le soutien du Conseil pour faire avancer le processus. Le ton, mesuré mais ferme, tranchait avec les euphémismes diplomatiques.

Un peuple qui veut tourner la page

Sur le terrain, la lassitude s'exprime. La MANUL a mené, ces derniers mois, une consultation nationale sans précédent : plus de 22 500 Libyens ont répondu à un sondage en ligne. Les divergences sont profondes sur la méthode - élections simultanées ou constitution préalable -, mais le message est clair : mettre fin aux "transitions sans fin".

Les femmes et les jeunes réclament des garanties : une représentation minimale, des garde-fous électoraux, un vrai accès aux instances de décision. Cette aspiration nourrit le projet onusien de « dialogue structuré », prévu pour novembre, qui réunira des centaines de représentants de la société libyenne autour de quatre thèmes : gouvernance, économie, sécurité et droits humains.

La MANUL veut y assurer au moins 35 % de participation féminine et créer un groupe des femmes libyennes ainsi qu'un forum dédié à la jeunesse. Autant d'espaces d'expression qui manquent cruellement dans un pays où le pouvoir reste verrouillé par des cercles masculins et militaires.

Corruption et impunité

À la crise politique s'ajoute un système économique fracturé. Deux budgets, deux banques centrales à Tripoli et à Benghazi, et des circuits parallèles de devises et de carburant qui alimentent les milices.

Le 14 octobre, la Banque centrale de Libye a révélé la découverte de 6,5 milliards de dinars non enregistrés à sa succursale de Benghazi. « Cette pratique illégale mine la confiance dans la monnaie et souligne l'urgence de renforcer la transparence et la responsabilité financières », a déploré Mme Tetteh. Elle a salué le lancement d'une plan national stratégique de lutte contre la corruption, tout en avertissant : sans volonté politique, ce plan restera lettre morte.

L'espoir d'un sursaut

Quelques signes positifs subsistent : l'apaisement des tensions à Tripoli, où les affrontements entre le gouvernement et l'Appareil de dissuasion contre le crime organisé et le terrorisme (DACOT), un puissant service de sécurité opérant de manière autonome, ont cessé grâce à une médiation turque ; la reprise des élections municipales suspendues ; et les efforts conjoints de l'ONU et de l'Union africaine pour faire progresser la réconciliation et enquêter sur les disparitions forcées.

Mais la paix reste suspendue à un fil. « Le peuple libyen mérite la stabilité politique et une paix durable », a conclu la Représentante spéciale, non sans rappeler que les promesses ne suffisent plus. Encore faut-il que la communauté internationale, elle aussi, parle d'une seule voix.

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