09/25/2025 | Press release | Archived content
J'ai grandi dans le centre de la France, sur une terre entourée de vieilles montagnes et de volcans endormis.
J'ai grandi avec la légende d'un héros. Un héros qui, lui aussi, était né et avait grandi sur une terre entourée de vieilles montagnes et de volcans endormis. Un héros de deux mondes : la France et l'Amérique.
Laissez-moi vous raconter son histoire.
Il a été élevé par sa mère et ses tantes. À 19 ans, il entendit parler d'hommes audacieux qui combattaient pour la liberté et la démocratie de l'autre côté de l'Atlantique. Il défia son supérieur, monta à bord d'un navire à Bordeaux, et débarqua près de Georgetown, en Caroline du Sud. Il se tint aux côtés des patriotes américains. Il combattit avec eux. Il se lia d'amitié avec George Washington. Il se rapprocha de Thomas Jefferson, qui rédigeait la Déclaration d'Indépendance. Souvenez-vous de ces mots :
« Nous tenons ces vérités pour évidentes : que tous les hommes sont créés égaux ; qu'ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables ; que parmi ceux-ci figurent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »
Notre jeune homme rapporta ces paroles puissantes en France. Et, trois jours avant la prise de la Bastille, il rédigea la première ébauche de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui disait :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
Cette histoire est l'histoire de La Fayette. C'était il y a 250 ans. Et, en fait, nous célébrons aujourd'hui, 25 septembre, le 249e anniversaire de la décision du Congrès de mandater Benjamin Franklin pour négocier un traité avec la France afin d'assurer l'indépendance américaine. Les paroles puissantes de Jefferson et de La Fayette ont traversé l'épreuve du temps.
Un siècle et demi plus tard, la même histoire se reproduisit, mais dans l'autre sens. Dans la nuit de pleine lune du 6 juin 1944, des milliers de jeunes Américains embarquèrent pour les plages de Normandie, où beaucoup verseraient leur sang.
Pour libérer la France de l'oppression.
Pour la même raison qui avait poussé La Fayette à traverser l'Atlantique.
Alors réfléchissons un instant. Pourquoi ces jeunes hommes ont-ils traversé l'Atlantique et risqué leur vie ? Pourquoi ont-ils fait cela ? Qu'est-ce qu'il faut pour les y decider ?
Il faut une idée simple. Une idée que la France et les États-Unis défendent depuis plus de deux siècles. Une idée qui a tant apporté au monde et qui tient en un seul mot : démocratie.
Le pouvoir de la démocratie
Lorsque la démocratie est bien établie, elle constitue effectivement le cadre institutionnel le plus propice à la prospérité, au bien-être et à la paix.
Ce n'est pas une opinion. C'est une affirmation fondée sur des recherches scientifiques.
Que nous apprennent ces recherches ?
Le professeur Andrei Shleifer de Harvard, l'économiste le plus cité au monde avec plus de 400 000 citations, a fourni de nombreuses preuves démontrant que la tradition juridique est un moteur essentiel du développement d'un pays. Lui et ses coauteurs ont montré que l'état de droit conduit à une meilleure protection des investisseurs, à des marchés financiers plus profonds et plus larges et, en fin de compte, à une croissance économique plus forte. L'intuition est simple. Si la propriété privée est protégée. Si la propriété intellectuelle est protégée. Alors les entrepreneurs et les innovateurs sont incités à créer de la valeur et à faire progresser les frontières du savoir.
Je viens de citer un économiste de Harvard. Permettez-moi de me tourner vers un économiste du MIT qui a eu une grande influence sur mes propres recherches lorsque j'étais professeur dans cette université. Le lauréat du prix Nobel Daron Acemoglu. Daron et ses coauteurs ont démontré que la démocratie est un facteur de croissance. La démocratisation augmente le PIB par habitant d'environ 20 % à long terme. Et ces effets sont dus à des investissements plus importants de la démocratie dans le capital, l'éducation et la santé. Dans un travail novateur, Daron a découvert que les institutions inclusives, celles qui garantissent que tout le monde profite de la croissance, sont au cœur de la raison pour laquelle certains pays s'enrichissent tandis que d'autres restent pauvres.
Certains diront que le PIB n'est pas une statistique suffisante pour mesurer le bien-être. Ils ont peut-être raison. Examinons d'autres indicateurs. Une étude publiée dans The Lancet a montré que la démocratie a un effet causal positif sur l'espérance de vie. En tenant compte d'autres facteurs, l'espérance de vie des adultes augmente de 3 % sur 10 ans dans les pays qui passent à la démocratie. Cela concorde avec la corrélation négative entre la démocratie et la mortalité infantile. Au-delà, de nombreux articles ont démontré la corrélation positive entre la démocratie et le bien-être subjectif.
La démocratie est propice à la prospérité. Au bien-être. Et la démocratie est propice à la paix. Nul besoin d'être diplômé de la Harvard Kennedy School pour voir la tendance : au cours des 80 dernières années, aucune démocratie mature n'est jamais entrée en guerre avec une autre. Plus important encore, la démocratie a servi de modèle de base pour construire l'ordre international sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale. Lisez la Charte des Nations unies, signée il y a 80 ans à San Francisco. Vous y reconnaîtrez les paroles de Lafayette et de Jefferson.
Vous y verrez les trois piliers de la démocratie que j'ai mentionnés, transposés au niveau international, entre les nations :
Le premier est celui des droits fondamentaux : l'intégrité territoriale et l'autodétermination.
Le deuxième est celui du « une nation, une voix », chaque pays disposant de la même part de pouvoir à l'Assemblée générale.
Le troisième est celui de l'État de droit, les mêmes règles s'appliquant à toutes les nations.
Le premier objectif des Nations Unies était de maintenir la paix et la sécurité internationales. Cela a-t-il fonctionné ? Oui, bien sûr !
Le principe directeur de l'intégrité territoriale a rendu très coûteuse pour tout pays l'invasion de ses voisins. Tous les conflits n'ont pas été évités, loin de là. Mais le rôle de médiation de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité a empêché de nombreuses tensions de dégénérer en guerres ouvertes.
De plus, des recherches ont montré que les missions de maintien de la paix de l'ONU et d'autres activités de consolidation de la paix conduisent à une diminution de la violence, à une amélioration des droits de l'homme et à des environnements post-conflit plus stables. Elles conduisent à une diminution des conflits. Qu'elles constituent clairement un moyen rentable d'accroître la sécurité mondiale.
Prospérité, bien-être, paix. La démocratie a tant apporté à notre civilisation.
Pourtant, partout où je regarde, les droits fondamentaux sont remis en cause, l'État de droit est contesté. Partout où je regarde, je vois la démocratie sous le feu des critiques.
La démocratie sous le feu
De l'extérieur, les autoritaires ont leur stratégie. Ils craignent la démocratie comme les vampires craignent la lumière du soleil. C'est pourquoi ils la vident de son essence, ils sapent sa force. Lorsque vous ne croyez pas en la capacité de votre peuple à relever les défis que chaque nation doit surmonter, vous pouvez vous convaincre que la concentration du pouvoir est la solution.
Adieu, État de droit. Adieu, droit international. Adieu, dialogue et multilatéralisme.
Ils murmurent une idée pernicieuse à des oreilles serviles : abandonnez les principes qui régissent notre vie depuis des décennies, car eux seuls peuvent rapidement remédier aux frustrations que la démocratie libérale a suscitées chez tant de citoyens. Mais le temps révèle la vérité, et avec le temps, nous voyons à quel point le pouvoir a été retiré au peuple.
Le scénario des autoritaires est toujours le même :
A-t-il réussi ? Non.
Y parviendra-t-il ? Certainement pas.
Pourquoi ? Parce que la démocratie est une idée. On ne peut pas bombarder une idée, ni anéantir par des drones la volonté d'un peuple de décider de son destin.
Au-delà de l'Ukraine, Vladimir Poutine vise l'Union européenne elle-même, un projet intrinsèquement démocratique. Il la déteste, et il déteste ce qu'elle représente. Et il n'est pas le seul.
En tant que dirigeant politique français, je constate que les dirigeants autoritaires gagnent du terrain partout dans le monde, y compris en Europe. Dès qu'ils s'emparent du pouvoir, ils craignent avant tout une chose : la propagation de la démocratie à l'intérieur de leurs frontières et chez leurs voisins. Ils la redoutent comme on redoute un virus mortel. Rien ne les effraie plus que sa diffusion. Ils sont prêts à tout pour l'empêcher : recours à la force brute, chantage, désinformation, manipulation électorale. Le champ de bataille de la démocratie n'a pas seulement changé ces dernières années, il s'est étendu à de nouveaux domaines, notamment les réseaux sociaux.
Voici un point crucial : trop souvent, nos démocraties continuent de voir le monde à travers un prisme purement matériel. Cela doit changer. Les forces qui veulent faire tomber la démocratie ont reconquis le champ de bataille de l'esprit, l'espace narratif. Elles se sont installées dans un domaine que trop de dirigeants démocratiques ont abandonné : la spiritualité - non pas en tant que religion sectaire, mais en tant que capacité à imaginer un projet politique qui permette aux gens de servir une cause qui les dépasse.
Je constate également des attaques venant de l'intérieur.
Dans les démocraties matures d'Europe et d'Amérique du Nord, la plus grande menace vient moins des coups d'État que des dirigeants élus ou susceptibles d'être élus. Les aspirants hommes forts instrumentalisent les émotions, utilisant des algorithmes pour amplifier la colère et la peur, et transforment la politique en un théâtre permanent d'indignation. L'un des principes fondamentaux de la démocratie, la protection et le respect des minorités, se transforme en un phénomène bien identifié par Alexis de Tocqueville : la tyrannie de la majorité.
Au sein de nos démocraties, les adversaires progressent. Ils ne cherchent pas simplement à occuper des fonctions, ils cherchent à s'approprier l'histoire que nous nous racontons, les règles qui nous lient et les arbitres qui veillent à l'équité du jeu.
Leur objectif est simple : s'emparer du pouvoir en vidant de son sens le consentement. Et ils ont une méthode.
Tout d'abord, les freins sont brisés.
Les limites sont constamment testées, des liens géopolitiques surprenants avec des forces autoritaires étrangères apparaissent, les plateformes sont transformées en accélérateurs et les lignes rouges de la souveraineté sont brouillées, qu'il s'agisse de la frontière d'un voisin, d'une île contestée, d'une banquise stratégique ou d'un canal étroit. Le message est constant : la force l'emporte sur la loi, l'audace l'emporte sur la responsabilité.
Ensuite, l'espace public est réduit et saturé.
Ils étouffent le débat en exerçant des pressions sur la presse et en harcelant ceux qui rapportent les faits. La propagande est blanchie par des intermédiaires « privés » ; les campagnes sont imprégnées de désinformation, désormais amplifiée par l'intelligence artificielle. L'objectif n'est pas de persuader, mais d'épuiser : rendre la vérité inconnaissable, faire en sorte que les citoyens se sentent seuls.
Ensuite, ils criminalisent la dissidence.
Les opposants, les ONG et les défenseurs des droits peuvent entendre frapper à leur porte : perquisitions, poursuites judiciaires, intimidation déguisée en maintien de l'ordre public. La liberté d'expression est rejetée comme un luxe réservé aux périodes plus calmes ; la conformité est présentée comme un devoir civique. Les données sont effacées, certains sujets de recherche sont interdits, les subventions aux projets qui ne servent pas le discours officiel sont supprimées, les enseignants doivent faire attention à ce qu'ils disent.
Ils faussent le vote.
La violence rôde aux abords des bureaux de vote ; des candidats sont rayés des listes électorales ; des journalistes et des électeurs sont menacés. Le scrutin est truqué à l'avance et le résultat, s'il est gênant, est contesté après coup. Les universités, les régulateurs et les médias publics sont infiltrés jusqu'à ce que la résistance devienne un rituel et non plus une réalité.
Ils brisent la séparation des pouvoirs.
Le pouvoir exécutif prend de l'ampleur, la loi est contournée. Les juges sont remplacés ou intimidés ; les tribunaux sont soumis à des pressions ; les organismes de lutte contre la corruption sont vidés de leur substance ou utilisés comme des armes contre les détracteurs. L'arbitre devient joueur ; le règlement, une arme.
Et enfin, la loyauté prime sur le mérite.
L'économie est refaite pour devenir une machine à favoritisme : contrats, crédits, allégements fiscaux pour les amis ; points d'étranglement pour les dissidents. L'innovation se flétrit, et dans le silence qui s'ensuit, la répression prend de l'ampleur.
Au bout de cette route se trouve une conclusion plus sombre : la démocratie est naïve, l'idéal de Lafayette est obsolète. Elle devrait être remplacée par un régime illibéral, une « monarchie des PDG », afin de mettre fin à ce qui est décrit comme une expérience ratée de 200 ans : la démocratie.
Je me demande parfois si les personnes qui développent de telles idées se rendent compte qu'elles nient une période qui correspond plus ou moins à la durée de vie des États-Unis.
Je me demande s'ils réalisent que cette « expérience » a fait des États-Unis le grand pays qu'ils sont aujourd'hui, en deux siècles.
Je me demande s'ils considèrent chaque homme et chaque femme comme des concitoyens.
Une monarchie de PDG, cela semble trop scandaleux pour être vrai ? Je crains que ce ne soit pas le cas.
Le soutien à la démocratie a rarement été aussi faible.
L'année dernière, l'indice de démocratie de The Economist a de nouveau chuté pour atteindre son niveau le plus bas depuis sa création en 2006.
Depuis le milieu des années 1990, le mécontentement à l'égard de la démocratie a augmenté d'environ 10 points de pourcentage pour atteindre 58 %. Cette hausse est particulièrement marquée depuis 2005, année où la proportion de citoyens mécontents était beaucoup plus faible, à 39 %.
Et cette augmentation a été particulièrement prononcée dans les démocraties développées.
Voici la question la plus importante de notre époque : pourquoi les ennemis de la démocratie progressent-ils ?
Pour beaucoup, la démocratie semble trahir ses promesses : liberté, sécurité, épanouissement et, bien sûr, recherche du bonheur. La question qui se pose à la table du dîner est simple : « Mes enfants auront-ils une vie meilleure que la mienne ? » Malheureusement, trop de citoyens ne peuvent répondre « oui » avec certitude.
Les gens en ont assez des grands principes qui ressemblent à des slogans, des formalités administratives qui brouillent les rôles, des déficits associés à la baisse des services publics. Les déclarations grandiloquentes ne servent à rien si rien ne change sur le terrain. La démocratie devrait être quelque chose que l'on peut ressentir au quotidien. Personne ne donne son cœur à une constitution ou à un projet de loi. Nous le donnons à une démocratie vivante, qui se manifeste dans l'équité quotidienne, dans les voix entendues, dans les promesses tenues, dans l'amélioration de la vie, autant de preuves discrètes qui unissent un peuple.
À l'heure actuelle, trop de citoyens dans les démocraties matures sont las, frustrés, blasés, épuisés, déçus, fatigués.
Il s'agit clairement d'une lassitude démocratique. C'est ce à quoi nous sommes confrontés aujourd'hui. C'est ce qui rend nécessaire le soulèvement de tous les défenseurs de la démocratie. Là encore, la résignation ne peut prévaloir et chacun a un rôle à jouer pour défendre le pouvoir.
Il s'agit d'une érosion silencieuse de la confiance, d'un lent affaiblissement du cœur civique, lorsque la promesse d'une autonomie gouvernementale résonne comme un écho plutôt que comme un appel.
La lassitude démocratique
La lassitude démocratique est liée à de nombreux sentiments mitigés :
Le sentiment que les citoyens ne sont pas entendus. Que les questions qui leur tiennent à cœur ne sont jamais abordées. Qu'une élite lointaine, à Paris ou à Washington, décide pour eux sans rendre de comptes. Mais pour transformer une population en un peuple, nous avons besoin d'une histoire partagée et d'un destin commun, même lorsque nous sommes en désaccord.
Le sentiment que le gouvernement démocratique ne tient pas ses promesses. Que nous payons plus et obtenons moins. Services publics, soins de santé, sécurité : trop souvent, les performances sont insuffisantes. Ce sont nos organisations collectives qui sont ici mises en cause.
Le sentiment que la démocratie ne nous protège pas des bouleversements mondiaux. Le choc chinois a détruit des millions d'emplois et laissé des régions entières d'Europe et d'Amérique du Nord exsangues. Les politiques de Pékin ont fait gonfler la dette des ménages américains et jeté une ombre sur l'emploi aux États-Unis. Parallèlement, les profondes mutations des structures familiales et l'augmentation de l'immigration ont transformé nos sociétés, alimentant des inquiétudes auxquelles la démocratie a eu du mal à répondre. La numérisation et l'automatisation ont divisé les marchés du travail et vidé la classe moyenne de sa substance. Les gens se sentent livrés à eux-mêmes pour recoller les morceaux.
Et peut-être le sentiment le plus difficile à supporter : le sentiment paradoxal d'injustice et de frustration que génèrent nos sociétés matérialistes, malgré le bien-être indéniable dont nous jouissons par rapport à la grande majorité de la population mondiale.
Le sentiment que la démocratie ne parvient plus à trouver le subtil équilibre entre l'autonomie individuelle et l'intérêt commun, condition nécessaire à l'épanouissement personnel. Paradoxalement, nous en sommes venus à penser que nous manquons des deux. Nous manquons d'autonomie car nous nous sentons entravés, nous souffrons des restrictions qui pèsent sur notre capacité à choisir, à décider, à agir. Nous manquons d'intérêt commun car nous ne nous sentons plus attirés par des projets qui nous dépassent.
Cette lassitude démocratique n'est pas apparue par hasard. Elle est le résultat de décennies d'aveuglement des élites face à un monde en pleine mutation, et du déni de l'exaspération légitime des citoyens des classes moyennes et populaires, fatigués de se sentir méprisés et mis à l'écart. L'échec des démocrates réside dans leur incapacité à esquisser un nouvel horizon, à répondre à cette colère. La démocratie n'est pas une marque de luxe : tout en marketing, rien en termes de résultats. La plus grande menace n'est pas les chars d'assaut, c'est la résignation.
Pendant des années, les démocrates aux États-Unis - et beaucoup en Europe - ont laissé nos institutions dériver jusqu'à ce que trop de citoyens se sentent privés de pouvoir. Qui décide ? Qui est responsable ? L'horizontalisation de l'information grâce aux réseaux sociaux et l'accès facile à l'information - et à la comparaison - ont fait que cette dérive et cette opacité ont conduit de nombreux électeurs à se tourner vers des candidats populistes proposant des réponses simples et des boucs émissaires immédiats.
La fatigue démocratique est également aggravée par l'emprise que les réseaux sociaux exercent désormais sur nos vies.
Car la démocratie s'arrête là où commence le Far West des réseaux sociaux. Le modèle économique des plateformes engendre des bulles de filtrage. Devrions-nous les fermer ? Non, nous devons les réglementer, de manière souveraine et démocratique, afin de protéger un débat public sain tout en préservant la liberté d'expression et le partage des connaissances. Je suis désolé de dire à ceux qui veulent bien l'entendre que la démocratie prime sur les dividendes.
Face à une telle lassitude, certains seront tentés d'abandonner. D'abandonner l'héritage de Lafayette et Jefferson. Nous ne le ferons pas. Nous résisterons et nous réparerons la démocratie. Comment ?
Revenons aux racines de la démocratie : le pouvoir et la responsabilité entre les mains des citoyens.
Réparer la démocratie
Pour rétablir la démocratie, il faut d'abord rétablir la citoyenneté. Former de véritables citoyens. Des citoyens éclairés, capables et désireux d'assumer leurs responsabilités envers eux-mêmes et envers les autres.
Comment y parvenir ? Avec beaucoup d'éclaircissement, d'autonomisation et de courage.
Tout d'abord, l'éclaircissement. Veritas, comme on dit à Harvard.
Car le pouvoir du peuple ne fonctionne que si les gens sont correctement informés. Sinon, ils agissent à tâtons dans l'obscurité. Comment pouvons-nous avoir un débat productif si nous ne pouvons pas nous mettre d'accord sur les faits, si des factions polarisées se disputent à propos de fausses informations sur les réseaux sociaux ? Si la « vérité » est manipulée à des fins politiques ?
L'éducation commence dans les salles de classe et se poursuit ici à Harvard, dans les universités, où les professeurs consacrent leur vie à mieux comprendre le monde. Et à partager l'étendue de leurs connaissances avec leurs étudiants.
Aujourd'hui, la science est remise en question. La science suscite la méfiance. La science est politisée. Pourtant, pour former des citoyens, nous avons besoin de plus de recherche. De plus de liberté académique. De plus de science, pas moins. D'une science libre et ouverte. Nous avons besoin de l'émulation compétitive d'une communauté académique dynamique. Nous avons besoin de la discipline rigoureuse de l'évaluation par les pairs. Nous avons besoin d'une évaluation des politiques.
Alors oui, nous nous levons !
Nous nous levons avec les esprits libres qui rêvent au-delà des limites. Avec les professeurs et les étudiants qui osent.
Nous soutenons les universités confrontées à la menace du contrôle gouvernemental, à la restriction de leur financement, à des contraintes sur leurs programmes d'études ou leurs projets de recherche.
Nous soutenons les étudiants, ici à Harvard. Et ailleurs, qui s'inquiètent de l'obtention de leur diplôme.
Les Lumières reposent également sur la liberté de la presse. Des journalistes qui se sentent suffisamment indépendants pour rendre compte de ce qu'ils voient. Qui ne sont pas soumis à la pression ou aux contraintes éditoriales. Des médias disposant des ressources nécessaires pour enquêter et révéler des vérités dérangeantes.
Alors oui, nous nous levons !
Nous soutenons les vérificateurs de faits, les lanceurs d'alerte, les journalistes et tous ceux qui osent.
Nous soutenons les médias indépendants qui s'efforcent de faire leur travail.
Nous soutenons ceux qui luttent pour l'intégrité de l'information.
Pour rétablir la citoyenneté, il faut également donner du pouvoir aux citoyens.
La lassitude démocratique peut conduire à un recul démocratique. Lorsque le système semble défaillant, certains commencent à se demander : pourquoi ne pas en essayer un autre, un système qui concentre le pouvoir entre quelques mains ?
Le remède pour réparer la démocratie, la seule alternative à la concentration du pouvoir, est la redistribution du pouvoir. Redonner le pouvoir au peuple.
Commencez par redéfinir complètement qui fait quoi. Secteur public, secteur privé. Gouvernement fédéral, gouvernement local. Gouvernement, agences. Le principe directeur devrait être la subsidiarité. Attribuer le pouvoir là où il est exercé le plus efficacement. L'objectif devrait être de libérer l'énergie. Donner à chacun les moyens de diriger sa propre vie. Ouvrir de nouvelles voies et appeler les impatients à s'engager avec leur passion et leur talent.
Continuer à donner plus de pouvoir à chacun, dans tous les aspects de sa vie. Les gens ont soif de faire leurs propres choix. Laissons-les participer plus activement à l'élaboration des politiques. Les gens ne veulent plus voter tous les quatre ou cinq ans et n'avoir aucun droit de regard entre-temps. La France a expérimenté des assemblées citoyennes sur des sujets tels que le changement climatique ou les soins de fin de vie. C'est une voie prometteuse. D'autres pays ont mis au point des outils numériques pour consulter la population de manière plus régulière. Pour tirer parti de la sagesse des foules. Nous avons besoin d'une participation citoyenne continue. Les citoyens doivent être des acteurs, pas des spectateurs.
Mes amis, l'éveil et l'autonomisation ne suffisent pas sans courage.
En 1978, Alexandre Soljenitsyne a prononcé le discours de remise des diplômes ici même, à Harvard. Dans ce discours percutant, il critiquait les démocraties occidentales pour leur perte de courage civique et leur incapacité à relever les grands défis. Il dénonçait la passivité des élites, leur obsession du confort matériel et leur déclin spirituel. Il parlait d'un « déclin du courage ». Il avait raison.
Nous devons retrouver notre courage.
Le courage de placer les valeurs au-dessus des intérêts.
Le courage de porter sa part du fardeau collectif, sans certitude que les autres en feront autant.
Le courage d'embrasser la dimension spirituelle de la vie et de résister à la tentation du confort.
Le courage de regarder le monde les yeux grands ouverts et d'être prêt à prendre des décisions difficiles lorsqu'elles se présentent.
Le courage de ne pas céder à la pression immédiate, mais de se concentrer sur ce qu'il faut faire.
La démocratie peut être réparée, en France comme aux États-Unis, si nous le voulons vraiment.
L'éveil, l'autonomisation et le courage sont la clé.
==CONCLUSION==
Réparer la démocratie, c'est avant tout former des citoyens. Des hommes et des femmes capables d'écouter et de débattre, de voter avec discernement, de demander des comptes aux dirigeants et de se lever pour le bien commun.
Éclairage, responsabilisation et courage sont les clés.
Nous sommes la clé.
Chers étudiants de Harvard, à ce moment de votre vie où vous choisissez votre avenir, une question se pose :
Quel citoyen serez-vous ? Des spectateurs ou des acteurs ? Défendrez-vous la démocratie ?
En 1824, La Fayette déclarait devant le Congrès que les États-Unis « se dressent comme une leçon pour les oppresseurs, un exemple pour les opprimés, et un sanctuaire pour les droits de l'humanité ».
Puissions-nous être à la hauteur de l'héritage de Jefferson et de La Fayette.
Puissions-nous être inspirés par le courage de La Fayette lorsqu'il traversa l'Atlantique. Par le courage de ceux qui débarquèrent sur les plages de Normandie. Par le courage de tous ceux qui, à travers le monde, risquent tout pour la liberté et la démocratie.
Nous le leur devons. Nous nous le devons. Nous le devons aux générations à venir.