12/09/2025 | News release | Archived content
GOUVERNORAT DE L'HADRAMAOUT, Yémen - « Une nuit j'étais une fille qui avait une maison, une école, des rêves », raconte Lutfia*, aujourd'hui âgée de 20 ans. « Au matin, je suis devenue une enfant déplacée qui portait des responsabilités et des angoisses bien trop lourdes pour son âge. »
Lutfia et sa famille ont fui leur ville natale de Ta'izz, dans les hauts plateaux du sud-ouest du Yémen, qui était encerclée par le conflit. Ses parents ont décidé de partir pour la ville côtière d'Al Shihr, dans le gouvernorat de l'Hadramaout, mais la vie y a été difficile.
« J'ai quitté puis repris l'école de nombreuses fois, selon la possibilité pour mes parents d'en assumer les coûts », explique-t-elle à l'UNFPA, l'agence des Nations Unies en charge de la santé sexuelle et reproductive.
Après plus d'une décennie de conflit et d'instabilité au Yémen, plus de 18 millions de personnes souffrent gravement de la faim, et plus de 6 millions de femmes et d'adolescentes sont exposées à des risques très élevés de violence domestique, d'exploitation et de mariage d'enfants - des situations qui se font plus fréquentes dans les contextes de crise.
Lutfia ne le sait que trop bien. Dans son nouvel environnement, elle a été constamment harcelée par un groupe de garçons du coin. Sa famille se sentait impuissante à la défendre, puisqu'elle était déplacée, pauvre et sujette à la discrimination dans ce nouveau lieu.
Un jour, alors qu'elle allait faire des courses dans le voisinage, Lutfia a été enlevée. Quatre jeunes hommes l'ont emmenée dans un lieu isolé et l'ont retenue prisonnière pendant une semaine, jusqu'à ce que les autorités la retrouvent.
« Ils m'ont infligé des sévices et m'ont détruite, à la fois physiquement et psychologiquement », témoigne-t-elle. « Lorsque je suis rentrée chez moi, je n'étais plus la même. Je n'arrivais plus à parler. Je n'arrivais plus à dormir. Je me réveillais en pleine nuit en pleurant. »
Alors qu'elle s'enfonçait dans la détresse, la famille de Lutfia a fait tout ce qu'elle a pu, l'a envoyée dans des hôpitaux et des cliniques privées mais son état a empiré. La jeune fille a fini par tenter la seule chose qu'elle pouvait imaginer pour mettre fin à ses souffrances.
« Ils m'ont infligé des sévices et m'ont détruite, à la fois physiquement et psychologiquement » - Lutfia
Surmonter le traumatisme et commencer l'entreprenariat
Amira*, travailleuse sociale, a été appelée pour rendre visite à Lutfia, et a appris à son grand désarroi que la jeune fille avait essayé de se pendre. Lutfia a été rapidement transférée dans un espace sûr de l'UNFPA, où elle a pu bénéficier de soins psychologiques et médicaux et être suivie par une psychiatre.
La responsable d'un espace sûr de l'UNFPA vérifie que Lutfia va bien après son mariage, et s'enquiert de son bien-être. ©UNFPA Yémen/ Shamikh Ghanem« On m'a traitée comme un être humain, pas comme un fardeau ou une erreur qui aurait été commise. J'ai lentement réappris à respirer pendant les crises de panique, et à revenir au moment présent lorsque les souvenirs menaçaient de me submerger. »
L'espace sûr proposait aussi des formations professionnelles, et Lutfia s'est inscrite à un atelier de conception et de couture, puis a vendu les vêtements qu'elle avait confectionnés sur un marché local. « Au début, j'étais timide et anxieuse, mais chaque petite vente me donnait un peu plus confiance en moi », explique-t-elle à l'UNFPA.
« J'ai ressenti quelque chose que je n'avais pas éprouvé depuis longtemps : un sentiment de sécurité » - Lutfia*
Au marché, elle a rencontré un jeune homme qui a fini par devenir son mari et associé. « Il ne me regardait pas comme quelqu'un de brisé, mais comme une personne forte qui avait survécu. Au fil du temps, nous avons construit une relation et j'ai choisi de l'épouser quand je me suis sentie prête. »
Ensemble, Lutfia et son mari ont ouvert une boutique pour vendre les robes qu'elle confectionne. « Je veux donner de l'espoir aux autres », déclare-t-elle. « Ce qui m'a sauvée, c'est la conjonction de plusieurs éléments : la sécurité, la thérapie, le fait d'être crue, le développement d'une compétence, et des personnes qui m'ont soutenue au lieu de me juger. »
Lutfia fait partie des centaines de femmes et de filles qui ont fréquenté cet espace sûr, établi à la fin 2019. Ces services sont cependant menacés à cause des coupes budgétaires actuelles, qui pourraient avoir des conséquences très graves.
L'autonomie, une étape essentielle de la guérison
Pour de nombreuses survivantes de violence, gagner sa vie peut s'avérer essentiel dans le processus de guérison. Dans un espace sûr de l'UNFPA du gouvernorat d'Ibb, les femmes et les filles peuvent suivre des cours d'apiculture, depuis les différents types de miel jusqu'aux médicaments et à l'alimentation des abeilles, en passant par la gestion de projet, le marketing et la vente de leur production.
Ensuite, elles reçoivent un kit d'équipement afin de lancer et gérer leur propre entreprise de manière indépendante.
« Mon mari m'a violentée de toutes les manières possibles » - Sameera*
La formatrice Najla Mohammed lors d'une session de formation à l'apiculture pour les survivantes de violence basée sur le genre. © UNFPA Yémen/Abdulrahman Al-MuallamiL'une de ces femmes est Sameera*, 35 ans, qui a été mariée de force à l'âge de 16 ans. « Mon mari m'a violentée de toutes les manières possibles », raconte-t-elle à l'UNFPA. « Il contrôlait mon argent, mes déplacements, jusqu'à ce qu'un jour il me mette dehors, en ne me laissant rien. »
Elle ajoute : « je n'avais aucune compétence, aucun revenu, et aucune estime de moi. J'ai appelé ma mère et elle a fait presque 150 km pour me ramener à la maison. »
Sameera a été orientée vers l'espace sûr d'Ibb et y a été admise pour recevoir des soins spécialisés. Elle a ensuite entendu parler du programme d'apiculture. « Au début, j'étais déconcertée, je pensais que les abeilles étaient dangereuses, pas qu'elles pouvaient permettre de vivre. Mais j'ai appris comment m'occuper d'une ruche, récolter le miel et le vendre. »
Sameera a vaincu sa peur et s'épanouit dans son nouveau métier. « J'ai ouvert ma première ruche avec les mains qui tremblaient. À chaque progrès que je faisais, j'avais l'impression de me réapproprier une petite partie de moi. La première fois que j'ai vendu du miel sur le marché, j'ai pleuré en quittant l'étal. Pas parce que j'avais gagné de l'argent, mais parce qu'on avait accordé de la valeur à quelque chose que j'avais fait. »
Elle travaille aujourd'hui avec d'autres survivantes, et explique : « ce projet a changé ma façon de vivre et ma manière de me percevoir. Je dirige désormais des sessions de sensibilisation pour d'autres femmes, et j'y parle ouvertement de guérison psychologique et d'indépendance financière. Je leur explique toujours que le traumatisme ne définit pas qui nous sommes. »
Des survivantes de violence basée sur le genre assistent à une session de formation en apiculture. © UNFPA Yémen /Abdulrahman Al-MuallamiDes bouées de sauvetage en plein naufrage
L'UNFPA soutient les femmes et les filles de tout le Yémen grâce à un réseau d'espaces sûrs, de refuges et de centres de santé mentale, qui sont actuellement financés par l'Autriche, l'Islande, la Norvège, l'Office d'aide humanitaire de l'Union européenne et le Fonds humanitaire du Yémen.
L'UNFPA a auparavant financé des équipes mobiles de sensibilisation pour les femmes et les filles déplacées, mais a dû y mettre fin à cause d'un manque de fonds, ce qui a aussi conduit, à ce jour, à la fermeture de dix espaces sûrs pour femmes et filles et d'un centre de santé mentale.
: « Je suis encore en train de me reconstruire, mais je ne suis plus impuissante. Je gagne ma vie. J'ai une raison de vivre. » - Rinad*
Malgré ces revers, l'UNFPA a réussi depuis janvier 2025 à fournir à plus de 200 000 femmes et filles au Yémen des services de soutien psychologique, d'assistance médicale et d'aide juridique ; par ailleurs, près de 10 000 femmes et filles ont pu acquérir des compétences de la vie courante et suivre une formation professionnelle.
« L'espace sûr et ma formation d'apicultrice n'ont pas effacé mon passé, mais m'ont donné un avenir », déclare Rinad*, une survivante d'Ibb. « Je suis encore en train de me reconstruire, mais je ne suis plus impuissante. Je gagne ma vie. J'ai une raison de vivre. »
*Les prénoms ont été changés pour garantir l'anonymat et la protection des personnes