Ministry of Europe and Foreign Affairs of the French Republic

01/08/2025 | Press release | Archived content

Conférence de presse conjointe de Jean Noël Barrot et d’Antony Blinken, secrétaire d’État des États Unis d’Amérique Propos de Jean Noël Barrot (Paris, le 8 janvier 2025)

Monsieur le Secrétaire d'État, cher Tony Blinken,

Bienvenue à Paris. C'est la huitième fois que tu es ici, au Quai d'Orsay. Et au moment où se termine ta mission au département d'État, je voudrais te dire, comme je l'ai fait tout à l'heure lors de notre entretien, que tu as incarné le visage de l'Amérique que nous aimons. L'Amérique au service de laquelle le jeune Lafayette a décidé d'apporter tout son concours, en s'embarquant à 19 ans seulement sur le navire de La Victoire. L'Amérique que nous avons célébrée au mois de mai dernier sur les plages du débarquement, pour nous souvenir qu'elle a contribué à venir libérer notre pays. L'Amérique qui, par sa hauteur de vue, par son attachement viscéral aux valeurs de la liberté, a contribué sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, à bâtir avec nous un ordre international fondé sur le droit.

Et je veux dire que tout au long de cette mission qui a été la tienne, tu auras beaucoup accompli pour contribuer à la résolution d'un certain nombre de crises régionales.

Je veux en particulier saluer ton action au Proche-Orient, au Liban notamment, où grâce à nos efforts combinés, nous sommes parvenus à mettre fin aux hostilités avec un accord de cessez-le-feu, mis en oeuvre grâce à un mécanisme franco-américain qui produit ses effets, puisque le Hezbollah commence à être désarmé au sud du pays, et que c'est désormais presque un tiers des troupes israéliennes qui se sont repliées et qui ont quitté le sud du Liban. Nous avons combiné nos efforts pour faciliter l'élection d'un président. Cette élection aura lieu demain, et nous espérons vivement que cette élection puisse avoir lieu, de manière à ce que puisse advenir le redressement politique et institutionnel du Liban.

Nous avons, pour l'Ukraine, combiné nos efforts pour apporter aux Ukrainiens tout le soutien nécessaire pour qu'ils puissent résister face à l'envahisseur russe, et nous partageons un certain nombre de convictions simples : aucune solution ne peut être trouvée à ce conflit qui concerne l'Ukraine au premier chef sans les Ukrainiens ; aucune discussion ne peut s'engager sur la sécurité européenne sans les Européens ; et il n'y a aucune résolution de cette crise ukrainienne qui serait défavorable aux Ukrainiens et qui serait en même temps favorable aux Européens et aux Américains.

C'est pourquoi, que ce soit sur le plan militaire, sur le plan financier, sur le plan des sanctions, nous avons depuis bientôt trois ans apporté à l'Ukraine ce soutien dont elle avait tant besoin pour préserver et défendre sa liberté et son intégrité territoriale bien sûr, mais pour en même temps protéger et défendre les intérêts de sécurité européens.

Et je voudrais dire, au-delà de tout ce que tu auras accompli au Proche-Orient, pour l'Ukraine et dans bien d'autres théâtres - nous évoquions ensemble la question du Soudan où se déroule aujourd'hui la pire crise humanitaire du monde et sur laquelle nous sommes tous les deux très mobilisés -, combien, lorsque je t'ai vu agir, j'ai vu en toi un diplomate accompli qui sait mobiliser son humanité pour éveiller celle de ses interlocuteurs, et qui a su ainsi obtenir tout au long de ces années énormément d'avancées pour la paix et pour la sécurité.

Alors merci pour cette action que tu as menée. Je veux saluer au passage l'action de ton ambassadrice ici à Paris, qui elle aussi quittera ses fonctions prochainement, en la remerciant pour tout ce qu'elle a fait. Te souhaiter bien sûr bon vent, et te dire non pas adieu mais plutôt au revoir, car je suis convaincu que nos routes se recroiseront.

(…)

Q - M. Blinken, nous vous suivons pour ce voyage. Nous sommes d'abord allés en Corée du Sud, où un ancien allié, le président Yoon, résiste à une mise en arrestation. Nous sommes allés à Tokyo, où les dirigeants n'étaient pas très contents que nous les empêchions d'acheter de l'acier américain. Nous sommes allés à Paris, où l'extrême droite - pardonnez-moi - semble monter en puissance, le gouvernement est un peu dans une situation chaotique. Nous partons en Italie où nous avons une Première ministre qui est une amie très proche d'Elon Musk. Vous avez parlé de votre legs, vous dites que vous transmettez des alliances qui sont en meilleure condition que lorsque vous en avez hérité. Mais lorsque je regarde ces schémas, que diriez-vous au peuple des États-Unis face aux difficultés dans ces relations ?

Une petite question rapide sur le Groenland : qu'avez-vous dit au ministre Barrot de la décision du futur président Trump de mettre la main sur des territoires européens ? Et enfin - toutes mes excuses, encore une fois -, Elon Musk… Que devraient faire nos alliés européens de son désir ardent d'appuyer les mouvements d'extrême droite, étant donné sa proximité avec le président élu Trump ? M. Barrot, pouvez-vous me dire ce que l'Europe est prête à faire pour défendre le Groenland et le Danemark si le président Trump persiste dans son idée de prendre en main le Groenland ?

(…)

R - D'abord, je voudrais vous démentir. Le gouvernement français est au travail. Et quant à la politique étrangère de la France, sa ligne a été réexprimée avec beaucoup de force par le Président de la République dans son discours lundi, en ouverture de la 30ème conférence des ambassadrices et des ambassadeurs.

Deuxième élément, l'amitié entre la France et les États-Unis a plus de deux siècles. Je vous ai cité La Fayette. Je vous ai cité le D-Day que les présidents Macron et Biden ont célébré côte à côte. Et je voudrais tout simplement vous dire que nous avons survécu à 59 élections américaines. Nous survivrons, évidemment, à la 60ème.

Ensuite, vous me parlez de l'Europe. Et je voudrais en profiter pour vous dire le lieu dans lequel vous vous trouvez exactement, ou plus précisément le lieu où Tony Blinken et moi-même nous tenons exactement. C'est exactement ici, devant cette cheminée, qu'il y a 75 ans bientôt, Robert Schuman prononça, en 1 minute 30, une déclaration qui permit la création de l'organisation politique qui a donné lieu à l'Union européenne. C'était, à l'époque, la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Ça s'est produit le 9 mai 1950, et c'est cette date que les Européens se sont donnés pour célébrer chaque année leur Europe.

Et donc, comme Tony, je vais vous répondre par une question. Est-ce que nous pensons que les États-Unis envahiront le Groenland ? La réponse est non. Mais est-ce que nous pensons que nous entrons dans une période qui voit le retour de la loi du plus fort ? La réponse est oui. Et c'est la raison pour laquelle, depuis 7 ans, sous l'impulsion du Président de la République notamment, l'Europe s'est renforcée dans le domaine de la défense, dans le domaine commercial, dans le domaine de la compétitivité - ce qui est très bien. Mais il nous faut maintenant aller beaucoup plus loin pour affirmer ce que nous sommes, pour affirmer ce que nous voulons. Et pour cela - le Président l'a rappelé lundi matin, encore une fois - il faut que l'Europe se réveille.

(…)

Q - Je vais essayer de revenir sur l'Ukraine, si vous le permettez. Le président Zelensky a accordé une interview au début de la semaine en disant que, selon lui, il ne peut y avoir de garanties de sécurité vraiment sérieuses pour l'Ukraine si les États-Unis n'en font pas partie. Pensez-vous que l'Europe à elle seule ne peut pas le faire ?

Et vous, Monsieur le Ministre des affaires étrangères, une question un peu différente : étant donné le point de vue du gouvernement à venir, pensez-vous qu'il pourrait y avoir une coalition d'États européens qui serait prête à fournir son soutien à l'Ukraine, un soutien qui serait suffisant pour une paix durable ? Ou pensez-vous qu'il n'y a tout simplement pas la puissance nécessaire et que les États-Unis sont essentiels ?

Et j'aimerais revenir sur une question, qui concerne l'ensemble du continent, quant à l'ingérence russe dans les processus d'élections au niveau de l'Europe. Qu'est-ce que l'Europe peut faire pour se protéger contre ce problème ? Enfin, Monsieur le Secrétaire d'État, pour la Géorgie, le président Macron a parlé des manifestants qui ont été repoussés à Tbilissi. Des mesures ont été prises, mais pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point ? Est-ce qu'il y a quoi que ce soit que le nouveau président peut faire pour sauver la démocratie ?

R - Vous m'avez interrogé sur l'Ukraine d'abord et, de ce point de vue-là, je veux souligner ce qu'a dit Antony Blinken. Si depuis le premier jour nous soutenons l'Ukraine, si nous avons dit que nous soutiendrons l'Ukraine aussi longtemps et intensément que nécessaire, c'est d'abord et bien sûr parce qu'il en va de l'avenir du droit international. Parce qu'accepter une capitulation de l'Ukraine, ce serait consacrer définitivement la loi du plus fort. Mais comme je l'ai dit, comme Tony l'a dit, il en va aussi de la sécurité du continent européen, des Européens et des Français. Et de ce point de vue-là, il faut nous défaire de toute forme de complaisance ou de toute forme d'aveuglement vis-à-vis des intentions impérialistes - je reprends le terme utilisé par Tony Blinken - de Vladimir Poutine.

Pourquoi ? Parce que nous avons vu, depuis le mois de février 2022, que la menace russe, la menace de Vladimir Poutine, a muté. Elle a montré que la Russie de Vladimir Poutine pouvait se lancer dans une invasion à grande échelle, comme elle l'a fait en Ukraine. Elle s'est internationalisée en repoussant ou, en tout cas, en exportant le conflit vers l'Asie et en y attirant la Corée du Nord. Et elle s'est hybridée en prenant des formes variées dans tous les champs de la conflictualité et en agressant un certain nombre de pays, y compris des États membres de l'Union européenne.

Et donc, face à cela, comme Tony Blinken l'a dit, notre priorité, c'est évidemment de soutenir l'Ukraine et de lui permettre d'entrer le moment venu, le moment qu'elle choisira, dans des négociations de paix en position de force. Mais c'est aussi, pour l'avenir, de nous assurer que jamais la guerre ne reviendra sur le continent européen, ce qui va appeler de notre part, de la part de toute l'Union européenne, un effort renforcé pour élever nos défenses et dissuader la poussée vers l'ouest de la menace de Vladimir Poutine.

Ensuite, sur la question de la désinformation - très rapidement - et des ingérences dans les processus électoraux. Là encore, l'Europe a été très claire. En 2022, sous présidence française de l'Union européenne, nous nous sommes donnés des règles strictes d'encadrement des réseaux sociaux en adoptant le règlement sur les services numériques. Je vous renvoie à ses articles 34, 35 et 36, qui disent très précisément que les plateformes de réseaux sociaux doivent mettre tout en œuvre pour éviter que leurs plateformes viennent perturber le débat public, sous peine de lourdes amendes - qui peuvent aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial - et, dans les cas les plus graves, qui peuvent aller jusqu'au bannissement de l'Union européenne. Il appartient désormais à la Commission européenne de faire appliquer ces nouvelles lois européennes que nous nous sommes données, et je l'appelle instantanément à le faire, avec beaucoup de fermeté et avec beaucoup de clarté. Si elle ne le faisait pas, alors il conviendrait qu'elle puisse restituer aux États membres qui le souhaitent la possibilité de le faire à leur niveau.

Q - Une question pour vous deux. La Turquie menace les combattants kurdes de Syrie d'une opération militaire. Que peuvent faire les États-Unis et la France pour prévenir cela et contribuer à la stabilisation de la Syrie ? Et par ailleurs, je reviens sur les déclarations d'Elon Musk - en français, s'il vous plaît, Monsieur le Ministre. Monsieur Musk sera un membre de l'administration américaine dans moins de 15 jours. Il a fait des déclarations qualifiées d'ingérences dans la politique intérieure britannique et allemande. Est-ce approprié ?

R - Chacun a le droit d'exprimer ses opinions, mais évidemment, lorsqu'on participe à un gouvernement ou lorsqu'on aspire à y participer, les opinions ont une valeur particulière. Alors, de deux choses l'une. Soit les interventions auxquelles vous faites référence sont des opérations de communication dans le cadre de processus électoraux ou du débat public de certains pays européens, et c'est évidemment très regrettable ; soit c'est une alliance assumée avec des partis de l'ultradroite qui flirtent avec les courants néonazis, comme c'est le cas avec l'AfD. Et alors là, il faudra que le parti républicain puisse assumer de lier son destin avec celui de partis qui représentent tout ce que le parti républicain a toujours combattu.

Ensuite, sur votre première question, merci de l'avoir posée, et elle me permet de revenir sur l'un des sujets sur lesquels les États-Unis et la France ont oeuvré de concert depuis bien longtemps et singulièrement depuis 4 ans : la lutte résolue et sans relâche contre le terrorisme islamiste, et en particulier contre Daech en Syrie. Et je veux à cette occasion présenter devant Antony Blinken mes condoléances, les condoléances de la France, aux victimes de l'attentat terroriste qui a frappé la Nouvelle-Orléans.

Les Kurdes de Syrie ont été, pour les États-Unis et pour la France, des alliés fidèles, des alliés résolus dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Avec la chute du régime criminel et barbare de Bachar el-Assad, un nouvel espoir est né en Syrie. C'est un espoir fragile, mais c'est un espoir réel. L'espoir d'un redressement politique, économique, moral de la Syrie, qui ne sera possible que si toutes les communautés trouvent leur place dans cette transition politique. Et dans cette transition politique, il faut évidemment que les Kurdes de Syrie puissent trouver toute leur place. Nous le leur devons, parce qu'ils ont été nos compagnons, nos frères d'armes dans la lutte contre Daech. Et c'est aussi dans l'intérêt de l'avenir de la Syrie que de permettre aux Kurdes de participer pleinement à l'avenir du pays. Et c'est pourquoi je veux saluer les efforts qui ont été ceux de Tony Blinken pour faciliter des médiations entre les Kurdes de Syrie et les Turcs, mais aussi entre les Kurdes de Syrie et l'Autorité de transition, dont le principal dirigeant a pu s'entretenir avec le général Mazloum [Abdi] il y a quelques jours. Nous allons poursuivre nos efforts pour que dans le nord-est de la Syrie - où, je le rappelle, plusieurs dizaines de milliers de combattants terroristes sont aujourd'hui dans des prisons gardées par les Kurdes du nord-est syrien - les garanties de sécurité auxquelles la Turquie aspire légitimement puissent être garanties, mais également les intérêts de sécurité des Kurdes, et leur droit plein et entier à participer pleinement à la construction de l'avenir de leur pays.