CERN - European Organization for Nuclear Research

09/20/2024 | News release | Distributed by Public on 09/20/2024 03:47

CERN70 : Le coup d’accélérateur des supraconducteurs

En 2000, [on m'a demandé] si j'étais prêt à diriger l'équipe du CERN chargée des aimants supraconducteurs. Il m'a suffi d'environ une microseconde pour répondre oui ! Ce fut le début d'une formidable aventure : celle de construire l'accélérateur le plus complexe du monde, en utilisant les technologies les plus sophistiquées.
Lucio Rossi

Lucio Rossi a débuté sa carrière dans le domaine de la physique des plasmas, s'orientant vers la supraconductivité appliquée aux accélérateurs au début des années 1990, lorsqu'il prend la tête de l'équipe INFN-LASA, qui commence tout juste à travailler sur le premier prototype d'aimant dipôle supraconducteur du LHC. En 2001, il est nommé chef du groupe sur les Aimants supraconducteurs et cryostats du CERN, alors responsable de la conception et de la production en série des aimants supraconducteurs requis pour le LHC. Entre 2010 et 2020, il dirige le projet de LHC à haute luminosité (HL-LHC).

« L'équipe INFN-LASA a livré son premier prototype d'aimant supraconducteur au CERN en 1994. Ce type d'aimant a depuis largement fait ses preuves et, jusqu'à récemment, ce premier dipôle servait encore pour l'expérience CAST. On pouvait y lire l'inscription « LHC DIPOLE PROTOTYPE CERN - INFN 1 ».

Quelques années plus tard, en 2000, j'ai reçu un coup de fil de Lyn Evans, responsable du projet LHC, pour me demander si j'étais prêt à diriger l'équipe du CERN chargée des aimants supraconducteurs. Il m'a suffi d'environ une microseconde pour répondre oui ! Ce fut le début d'une formidable aventure : construire l'accélérateur le plus complexe du monde, en utilisant les technologies les plus sophistiquées. Nous avons dû produire 300 000 km de fil supraconducteur pour les aimants dipôles et quadripôles supraconducteurs et pour les plusieurs milliers d'aimants correcteurs du LHC. Il a fallu collaborer avec l'industrie. Cela n'a pas été simple. Faire passer nos prototypes d'aimant dipôles supraconducteurs au stade de l'industrialisation représentait un vrai défi, en particulier pour l'obtention du niveau de qualité souhaité de la part des entreprises concernées. Le mieux étant parfois l'ennemi du bien, des compromis ont été faits, et, en dépit des difficultés rencontrées, nous avons réussi.

Si la production des aimants a été un défi en soi, les assembler et les faire fonctionner ensemble l'ont été également. Les éléments du LHC font partie d'un tout, c'est ce qui rend cette machine si complexe. Un maillon défaillant, et c'est l'ensemble de la chaîne qui est compromise. C'est ce qui s'est produit le 19 septembre 2008. Une connexion électrique défectueuse entre deux aimants (sur les 10 000 connexions que compte l'anneau du LHC) a entraîné des dégâts collatéraux importants et un arrêt d'un an. Je dois reconnaître que nous, ingénieurs, avons été à l'origine de cette erreur, en mettant au point un système trop vulnérable aux défauts de fabrication.

Des enseignements ont été tirés de cette erreur, au niveau collectif. C'est là, me semble-t-il, la force du CERN : à ce moment précis, j'ai ressenti une profonde unité. Le LHC a pu repartir, plus fort que jamais, et nous avons réussi à observer le boson de Higgs.

Le redémarrage du LHC, en novembre 2009, fut un vrai triomphe. Voir la machine fonctionner de nouveau parfaitement m'a beaucoup ému. Nous avions fait du bon travail. Ce fut une magnifique journée.

En 2010, lorsque nous avons commencé à réfléchir à l'avenir du CERN, j'ai émis l'idée du LHC à haute luminosité (HL-LHC). Ce projet comptait beaucoup pour moi : avec le HL-LHC, la boucle était bouclée. C'est ainsi que j'ai pris le rôle de coordinateur du projet en 2010. Nous étions lancés. Non sans difficultés, bien sûr, comme nous pouvions nous y attendre avec un projet pareil, la plus importante ayant sans doute été la pandémie de COVID-19. Les aimants ont également été source de difficultés : nous avions choisi d'équiper le HL-LHC avec un nouveau type d'aimants, reposant sur un nouvel alliage supraconducteur de niobium et d'étain, les aimants du LHC étant quant à eux composés de niobium et de titane.

Nous pensions étrenner cette technologie sur de petits aimants d'un mètre et demi de long, puis simplement la reproduire sur un aimant de sept mètres. Nous avions procédé ainsi pour le LHC. Nous avons appris à nos dépens qu'il allait falloir faire différemment avec le niobium-étain. La grande fragilité des bobines nous a mis devant de nouveaux défis, notamment concernant les aimants HL-LHC de 11 teslas. Nous avons su apprendre de nos erreurs : nous disposons désormais d'aimants longs fonctionnels pour les triplets internes, un composant central du LHC, même s'il nous aura fallu du temps. L'aventure fut mouvementée, mais ce fut nécessaire : le HL-LHC a permis de tester en conditions réelles les aimants en niobium-étain, ce qui a ouvert la voie à leur utilisation pour de futurs accélérateurs.

Réaliser de tels exploits, qui ne semblent possibles qu'en rêve, est la raison d'être du CERN. Sans cela, le CERN ne serait pas le CERN, j'en suis intimement convaincu. »