Les jeunes générations doivent savoir tout ce qui a été fait pour qu'elles aient la liberté et le bonheur aujourd'hui.
Yvette Lévy
Écoutez l'histoire d'Yvette Lévy :
Écouter Yvette Levy
Comment était votre vie avant la guerre ?
Mon père travaillait aux Grands Moulins de Paris, ma mère était mère au foyer. On vivait à Paris avec mes deux frères, puis on s'est installé à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) dans un appartement plus grand.
C'était l'année de mon certificat d'études, je devais avoir 11 ou 12 ans. J'avais des camarades adorables, j'étais une petite fille normale. Seulement, j'avais une maîtresse qui n'était pas gentille avec moi parce que je suis née Dreyfus. Mes parents sont allés voir la directrice pour qu'elle me fiche la paix.
Quand j'ai passé mon certificat d'études, on a eu comme récompense une promenade à la mer. Je n'avais jamais vu la mer. Mes camarades se sont baignées, je les ai regardées, je n'étais pas équipée du tout. Quelques semaines plus tard, la guerre était déclarée.
En juin 1940, votre famille fuit dans des camions de farine des Grands Moulins, mais vous devez assez rapidement revenir. Pourquoi ?
On n'a pas été plus loin qu'Orléans. Il n'y avait plus d'essence, et là où on devait en prendre, à la gare d'Orléans, il y avait un incendie.
Avec mes deux frères, ma grand-mère et mes parents, on a fini à pied, on a marché des jours, on dormait à la belle étoile.
Puis un jour, on a entendu du bruit partout. Papa a vu de nombreux camions vides et, au bout de la route, des Allemands. On n'a pas pu rejoindre Bordeaux.
Comment vivez-vous les premières mesures antisémites mises en place par le régime de Vichy ?
Mon papa, les yeux pleins de larmes, nous a dit un jour : « Les enfants, je dois monter au commissariat pour vous déclarer, c'est la loi. » On est partis à Paris pour aller chercher les étoiles jaunes. Il fallait les payer, donner des points de textile et les coudre soi-même. Ça, c'est un moment qu'on ne peut pas expliquer.
À l'école, les professeurs ne m'ont jamais fait de remarques, ils ne m'ont jamais rejetée. J'ai été interrogée, corrigée comme tout le monde.
Seule la professeure de sciences a été odieuse avec moi. Un jour, elle est rentrée dans la classe, et m'a dit : « Vous là, dégagez. » Je ne comprenais pas, je me suis mise au fond de la classe. Elle me mettait zéro partout, je n'ai jamais compris pourquoi elle me faisait ça.
En 1942, à 16 ans, vous sauvez des enfants de la déportation. Comment cela commence-t-il ?
Mon frère aîné Simon qui, comme moi, était chez les Éclaireurs Israélites de France, m'a un jour emmenée avec lui dans le local où ils se réunissaient. Le chef des éclaireurs a dit : « Toi, la petite, tu vas partir avec Jacques rue de la Roquette, il y a eu beaucoup d'arrestations, allez voir ce que deviennent tous ces enfants. »
On est entrés dans presque chaque maison, certains enfants étaient dans le couloir ou dans la descente des escaliers. Ils étaient seuls : leurs parents avaient été arrêtés deux jours auparavant. Ils n'avaient rien à manger, rien à boire. Après notre recensement, les éclaireuses neutres, c'est-à-dire sans confession, les ont fait passer en zone libre du côté de Dijon chez des femmes seules qui voulaient bien s'en occuper.
Une assistante sociale à la préfecture de police nous prévenait des rafles. C'est grâce à elle qu'on a pu planquer autant d'enfants.
Vous n'aviez pas peur ?
On faisait très attention, on n'a jamais traîné. Dans le métro, on avait peur que quelqu'un nous bouscule ou trouve une excuse et que l'on nous arrête. Ça, on a eu très peur, oui.
Vous avez été arrêtée le 21 juillet 1944 au 9, rue Vauquelin à Paris…
Après le bombardement de notre maison à Noisy-le-Sec, mes frères se sont cachés dans la cave d'un marché couvert, mes parents dans une maison de l'Union Générale des Israélites de France, pas très longtemps puisque Paris a été libéré quelques jours plus tard.
Moi, j'étais dans un foyer pour jeunes filles de la rue Vauquelin. Avec mes 26 camarades, nous avons été arrêtées en pleine nuit. On est montées dans le camion en chemise de nuit et en manteau.
Au moment de grimper dans le camion, une de nos camarades a fait une crise d'épilepsie. Les Allemands disaient « Schnell ! Schnell ! » (en français : « Vite, vite ! ») Un militaire allemand avec un fusil-mitrailleur nous surveillait, il y avait des tractions noires tout autour de ce camion. Et nous, on chantait tous les chants de marches que l'on connaissait. On en a réveillé le camp de Drancy.
À quoi ressemblait le camp de Drancy ?
C'était l'horreur : un bâtiment sans âme, même pas terminé. Tout branlait, les fenêtres étaient à moitié cassées. Tout en étant vivantes, on vivait l'enfer.
Pendant l'interrogatoire, j'ai dit que mes parents avaient été tués lors d'un bombardement. C'est comme ça qu'ils ont été sauvés.
Dix jours après, on vous fait monter dans le convoi n°77 en direction de Birkenau avec 1 300 autres personnes…
On était à peu près 80 dans le wagon, avec un seau pour les besoins et un autre pour de l'eau. Le voyage a duré trois jours.
On est arrivés en pleine nuit à la gare de Birkenau. Les SS nous ont fait descendre et nous ont séparés : les jeunes à droite, les autres à gauche. 150 à 180 femmes ont été sélectionnées, les 896 autres sont parties directement à la chambre à gaz.
On nous a fait rentrer dans une baraque et on nous a demandé de nous déshabiller. Nous, on ne voulait pas. Les SS criaient « Schneller » (en français : « Plus vite ! »), et on s'est retrouvées à poil devant les autres qui ont été sélectionnées. Je ne m'étais jamais déshabillée devant mes camarades, ça a été la honte.
Puis, on a été tondues. Ça, c'était le moment le plus difficile. Tu as beau pleurer, une fois que tes cheveux sont par terre, ils ne remontent pas. Après, on nous a lancé une chemise, une culotte, une robe et des sabots. Les petites avaient des robes jusqu'aux pieds, les grandes en avaient des mini, on a essayé de les échanger. On n'avait plus de cheveux, plus rien. C'était l'enfer.
Agrandir le visuel
Visuel - Source : Yvette Levy
Quel est votre quotidien à Birkenau ?
Certains travaillaient mais nous non, on faisait des corvées. Les SS nous sifflaient, on se mettait par cinq, et on allait chercher des briques qui devaient servir dans les fours crématoires. Les Hongroises nous volaient nos couvertures, essayaient de nous piquer nos morceaux de pain. Birkenau, ça a été l'enfer !
Vous êtes ensuite emmenée, avec d'autres camarades, dans un camp de travail destiné à l'armement à Kratzau, en Tchécoslovaquie. Comment était-ce ?
Je ne vais pas dire qu'on était protégées, mais c'était différent. Certaines travaillaient sur la route à enlever les cailloux, d'autres dans un atelier où elles manipulaient des grenades nues.
Moi, j'ai travaillé sur une grosse machine qui servait à fabriquer des pièces mécaniques. Là, on remercie le ciel, on est à l'abri, au sec, les machines dégagent un peu de chaleur, on n'est pas les plus malheureuses par rapport à celles qui travaillent dehors.
Le soir, on couchait à deux sur un lit de 80 cm. Parfois, à l'atelier, un petit monsieur tchèque me déposait une tranche de pain que je cachais. Le soir, après la soupe, je disais aux filles : « C'est moi qui offre le dessert ce soir. » Et on partageait ce pain en cinq.
Le camp est libéré par les soldats russes le 9 mai 1945…
Un jour, on se lève, il n'y a plus de SS, plus personne. On nous a ouvert les portes. Les Tchèques, les Polonaises et les Hongroises sont sorties.
Nous, on avait la trouille que les militaires nous violent. On restait ensemble, serrées les unes contre les autres. Les Russes ne nous ont rien donné, les Américains non plus. Personne ne nous a aidées, on est rentrées par nos propres moyens.
Arrivées à Longuyon, l'une de nous, madame Jeanne, était mourante. Les secours ont été appelés et deux hommes ont soulevé madame Jeanne comme s'ils soulevaient une plume, elle devait peser une trentaine de kilos. Elle avait une plaie affreuse qui s'était infectée. Elle ne voulait pas aller à l'hôpital : jeune mariée, elle voulait retrouver son mari. Il l'a retrouvée morte à l'hôpital.
À Paris, quand votre mère vient à l'hôtel Lutetia, elle ne vous reconnaît pas. Vous pesiez 30 kilos. Comment revient-on parmi les siens après tant d'horreurs ?
On ne reprend rien, on essaie de survivre. Quand je suis rentrée, mon père s'est assis en face de moi, il a pleuré, je ne savais pas quoi dire, je me suis mise à pleurer aussi. Ensuite, j'ai essuyé mes yeux et je n'ai pas ouvert la bouche, j'ai fait comme si de rien n'était. Aux parents, je n'ai rien raconté.
Vous avez beaucoup témoigné par la suite, vous êtes allée plus de 200 fois à Auschwitz avec des jeunes. Quel message souhaitez-vous leur transmettre ?
De ne pas oublier, qu'il y a eu beaucoup de morts pour rien, des femmes et des hommes arrêtés seulement parce qu'ils étaient juifs. Il ne faut pas les oublier. Ils doivent savoir tout ce qui a été fait pour qu'ils aient la liberté et le bonheur aujourd'hui.
Copier dans le presse-papier Copié !
Biographie d'Yvette Lévy
-
21 juin 1926 : naissance à Paris
-
21 juillet 1944 : arrestation à Paris
-
31 juillet 1944 : départ vers Auschwitz-Birkenau depuis le camp de Drancy
-
9 mai 1945 : après avoir été transférée au camp de Kratzau (Tchécoslovaquie), libération par les troupes russes
Madeleine Riffaud, qui s'est éteinte mercredi 6 novembre 2024 à l'âge de 100 ans, a vécu mille vies : résistante, poète, correspondante de guerre et anticolonialiste. Toute sa vie,...
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'elles n'étaient pas considérées comme des citoyennes à part entière, les femmes ont été nombreuses à combattre, aux côtés des hommes, contre...