09/11/2025 | News release | Distributed by Public on 09/11/2025 16:07
Le professeur Jonathan Paquin, directeur de l'École supérieure d'études internationales, lors de son exposé le 11 septembre.
- Université Laval, Yan Doublet
«Les enjeux internationaux se bousculent. Le monde dans lequel nous entrons est probablement le plus difficile dans lequel le Canada aura eu à vivre depuis la Seconde Guerre mondiale.»
Jonathan Paquin est directeur de l'École supérieure d'études internationales et professeur au Département de science politique. Ce monde auquel il fait allusion se caractérise par une instabilité géopolitique croissante. Sur le plan politique, les partis d'extrême droite récoltent un nombre grandissant de votes. Sur le plan commercial, des tensions entre les grandes puissances, notamment au sujet des droits de douane, perturbent l'ordre économique. Sur le plan régional, des conflits armés influent sur les relations entre pays.
Le jeudi 11 septembre, à l'amphithéâtre Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins, le professeur Paquin a prononcé une conférence intitulée «Politique internationale: comment s'adapter à l'instabilité». Cette présentation s'est déroulée dans le cadre du volet + Conférences du festival Fono.
Selon lui, le phénomène, qui rompt avec des décennies d'une relative stabilité, n'est pas sur le point de finir. «Je pense que l'instabilité qui s'est installée va croître, et ce, pendant encore plusieurs années, dit-il. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Beaucoup de dossiers feront du surplace, d'autres vont avancer très vite. Et tout ce qui se passe à l'heure actuelle n'est vraiment pas à l'avantage du Canada.»
Depuis la Seconde Guerre mondiale, un ordre international permettait une forme de stabilité géopolitique. Durant la guerre froide et après, les règles étaient claires, l'adversaire était connu, les codes étaient établis.
«On avait peur d'une guerre nucléaire, rappelle Jonathan Paquin, mais la plupart des États avaient deux stratégies. La première consistait à s'aligner sur la puissance dominante, les États-Unis, à en tirer tous les bénéfices tout en obtenant sa protection. Ce que le Canada a fait depuis 1945. La deuxième stratégie consistait à s'aligner pour faire contrepoids à une menace identifiée comme l'Union soviétique, à essayer de l'endiguer. Or, ce monde s'est écroulé avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l'implosion, par la suite, de l'URSS. En 1990, le président américain George Bush père déclarait: "Il y a un nouvel ordre international et les États-Unis sont dans le siège du pilote. Nous sommes la seule superpuissance qui reste."»
Selon le professeur, les années 1990 ont été «une grande fête pour l'Occident». À cette époque, les États-Unis allaient jouer le rôle de gendarme du monde. En Chine, environ 85% des travailleurs gagnaient un dollar par jour. Les paramètres étaient clairs. Les grandes puissances allaient collaborer, l'ONU allait enfin pouvoir jouer son rôle et les États allaient mettre l'accent sur le droit international. Ce monde unipolaire serait basé sur la démocratie libérale, le libéralisme économique et l'élargissement de l'OTAN.
«C'était génial pour le Canada, souligne-t-il. On faisait du libre-échange, on s'enrichissait. On était dans une douce dépendance économique tout en étant protégé par Washington. Conséquence: le Canada s'est un peu marginalisé. Il a revu à la baisse son budget de la défense et celui des affaires étrangères. Son dernier énoncé de politique étrangère remonte à 2005.»
Progressivement le vent a tourné et l'ordre international de 1990 s'est effrité. Une conjonction de facteurs a causé ce changement. L'un d'eux est les centaines de milliards de dollars dilapidés par les Américains dans la guerre en Irak, un conflit illégitime qui a débuté en 2003. Une autre est la crise financière de 2008, la pire depuis le crash de 1929. En marge de ça, des puissances économiques de plus en plus présentes ont émergé, notamment une Chine en pleine ascension économique avec des taux de croissance annuels entre 9% et 13%.
Aujourd'hui, trois grandes puissances remettent en question le système international. «La Chine, les États-Unis et la Russie sont des puissances révisionnistes, soutient Jonathan Paquin. En même temps, ce sont des puissances prédatrices. La Russie avec l'Ukraine, la Chine avec Taïwan et les États-Unis avec le Groenland et, dans une certaine mesure, le Canada. On se retrouve dans un monde instable. Et ce n'est pas fini. On n'a pas atteint le fond.»
Selon le professeur, l'ordre qui va émerger de cette série de mauvaises nouvelles géopolitiques ne correspondra pas aux valeurs canadiennes. Dans le monde actuel, on croit aux droits de la personne et au droit international. On croit également à la protection des minorités, à l'égalité hommes-femmes. «Vraisemblablement, dit-il, ce qu'on appelle chez nous les DEI, soit diversité, équité et inclusion, ne feront pas partie de la boussole du nouvel ordre mondial, en train de se développer. C'est une très mauvaise nouvelle pour nous, au Québec et au Canada.»
Selon lui, la Chine et la Russie sont dans la domination et l'accumulation de puissance. Le président russe Vladimir Poutine, en ce qui le concerne, est vu comme un modèle de mâle alpha dans les cercles politiques d'extrême droite. «C'est un conservateur sur le plan des valeurs sociales, poursuit-il. Il met de l'avant la religion comme point d'ancrage. Il met aussi de l'avant le courage, l'honneur et la bravoure comme valeurs pour la jeunesse russe. Il s'est progressivement défini comme un contrepoids au modèle libéral de DEI qu'on chérit en Occident. Il a une grande proximité idéologique avec le président Trump.»
Le président américain, lui, est, au dire de Jonathan Paquin, un dark genius qui a réussi à canaliser les insatisfactions d'une grande partie de l'électorat relativement à un sentiment de déclassement, à la théorie du grand remplacement et au libre-échange qui ne profiterait qu'à quelques-uns. Deux pôles de puissance se dessinent, poursuit-il. D'une part, les États-Unis. D'autre part, le tandem Russie-Chine, avec l'Inde qui semble se rapprocher.
Si le Canada a «dormi au gaz», bercé qu'il était par sa «douce dépendance» aux États-Unis, il ne peut plus juste faire du suivisme. D'autant plus que le grand allié américain s'est retourné tout à coup contre le Canada et contre l'Europe.
«Alors, il n'y a plus de pilote dans l'avion, souligne le professeur Paquin. Il se retrouve un peu face à un mur, face à beaucoup d'instabilité. Et là, il lui faut innover. On n'a pas le choix.»
Les annonces faites dans les derniers mois par le premier ministre Carney indiquent que le Canada se dirige progressivement vers une ambivalence stratégique. Cette approche consiste à ne pas prendre parti et à cultiver de bons rapports avec les grandes puissances.
«Le suivisme est terminé, explique Jonathan Paquin. Un des axes à cette stratégie consiste à diversifier ses partenariats, économiques et militaires. Un autre axe vise à accroître son autonomie stratégique en réduisant sa dépendance aux États-Unis.»
Il rappelle que Marc Carney veut se rapprocher de l'Union européenne, laquelle relance son industrie de défense. Le budget de la défense canadien a été accru. Le Parlement a adopté la Loi visant à bâtir le Canada, qui a pour but de créer un processus d'approbation accéléré pour les projets d'infrastructure d'intérêt national.
«On cherche à maintenir de bons rapports avec les États-Unis parce qu'on en a besoin, face notamment à la Russie et à la Chine dans l'Arctique, ajoute le professeur. Bref, on joue sur plusieurs tableaux, on est de plus en plus ambigus. On met nos œufs dans différents paniers et on attend que les choses se calment. Nous vivons dans un monde qui nous confronte. Il faut rebondir. Je pense que le Canada a tout pour le faire. C'est juste qu'il faut faire vite et faire fort. C'est ce que le gouvernement canadien semble vouloir faire.»