Amnesty International France

09/08/2025 | Press release | Distributed by Public on 09/09/2025 03:54

Turquie. Les poursuites engagées contre le bureau exécutif du Barreau d’Istanbul constituent une « attaque directe » contre l’indépendance de la profession juridique

Douze organisations juridiques et de défense des droits humains interviennent dans une procédure contre le bureau exécutif à la veille du procès

Les poursuites pénales et civiles engagées contre le bureau exécutif du Barreau d'Istanbul ne sont pas compatibles avec les obligations internationales de la Turquie en matière de droits humains et constituent une attaque directe contre l'indépendance de la profession juridique, mettent en garde 12 organisations juridiques et de défense des droits humains dans une intervention conjointe auprès du tribunal.

Le mémoire conjoint présenté par des organisations de défense des droits humains de premier plan et des organismes juridiques professionnels, dont Amnesty International, a été soumis le 5 septembre à la 26e cour d'assises d'Istanbul, alors que la deuxième audience, qui devrait durer deux jours, débute le 9 septembre.

L'action intentée en justice vise le président du Barreau d'Istanbul, le professeur İbrahim Kaboğlu, et 10 membres du bureau exécutif. Elle fait suite à une déclaration publique du Barreau en date du 21 décembre 2024, au lendemain de l'assassinat de deux journalistes kurdes, Nazım Daştan et Cihan Bilgin, qui auraient perdu la vie lors d'une frappe de drone dans le nord de la Syrie.

Dans sa déclaration, le Barreau d'Istanbul avait rappelé les protections juridiques internationales dont doivent bénéficier les journalistes dans les zones de conflit, demandé la tenue d'une enquête efficace sur ces morts et exigé la libération des manifestant·e·s et des avocat·e·s arrêtés lors d'une manifestation organisée à Istanbul le même jour. En réponse, le parquet a engagé des poursuites pénales contre la direction du Barreau pour « propagande en faveur d'une organisation terroriste » et « diffusion d'informations trompeuses », ainsi que des poursuites au civil visant à révoquer le bureau exécutif au motif qu'il avait outrepassé ses obligations juridiques. Le 21 mars 2025, le deuxième tribunal civil de première instance d'Istanbul a ordonné la révocation de l'ensemble du bureau exécutif, une décision qui fait actuellement l'objet d'une procédure d'appel.

Les 12 organisations font valoir dans leur mémoire conjoint que ces poursuites violent les obligations de la Turquie en vertu du droit international relatif aux droits humains. Elles soulignent que la déclaration du Barreau d'Istanbul s'inscrit pleinement dans le cadre de son mandat et de son obligation légale de défendre les droits humains et l'état de droit.

« Les poursuites pénales et civiles intentées contre le bureau exécutif du Barreau d'Istanbul constituent une mesure de représailles pour une action légitime fondée sur les droits, a déclaré Ayşe Bingöl Demir, directrice du Turkey Human Rights Litigation Support Project (Projet de soutien aux litiges en matière de droits de humains en Turquie). Elles s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie plus globale visant à intimider la profession juridique et à réduire au silence les institutions qui contestent le pouvoir de l'État. »

Les organisations rappellent que les barreaux doivent être libres de s'exprimer sur les questions juridiques et relatives aux droits humains sans crainte d'intimidation ni de sanctions. Thierry Wickers, président du Conseil des barreaux européens (CCBE), a déclaré : « Ces mesures sont une attaque contre le Barreau d'Istanbul, mais aussi contre l'idée même d'une profession juridique indépendante, l'un des piliers d'une société démocratique et une garantie essentielle permettant d'assurer l'état de droit et de prévenir les abus de pouvoir de l'État ».

Selon le mémoire conjoint, les accusations portées contre les dirigeants du Barreau d'Istanbul sont à la fois vagues et infondées d'un point de vue juridique, s'appuyant sur des lois relatives à la lutte contre le terrorisme et à la désinformation trop générales qui ne répondent pas aux normes internationales de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Aucun paragraphe de la déclaration du Barreau d'Istanbul ne peut raisonnablement être interprété comme une « incitation à la violence » ou une « promotion du terrorisme ». Au contraire, le Barreau s'exprime en tant que garant institutionnel, défendant ses membres et dénonçant des détentions illégales et des violations présumées du droit international.

« La déclaration du Barreau d'Istanbul rentrait parfaitement dans le cadre de ses obligations juridiques et de son rôle protégé au niveau international, a déclaré Helena Kennedy, directrice de l'Institut des droits de l'homme de l'Association internationale du barreau (IBAHRI). L'ériger en infraction est à la fois indéfendable d'un point de vue juridique et inquiétant d'un point de vue politique. »

Loin d'être un cas isolé, cette affaire illustre une pratique fréquente en Turquie : les barreaux sont confrontés à une ingérence croissante, les avocat·e·s sont de plus en plus souvent poursuivis pour leur travail et les institutions dissidentes sont soumises à des pressions coordonnées.

Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l'Europe à Amnesty International, a lancé cette mise en garde : « Ce à quoi nous assistons dans cette affaire est emblématique d'une tendance systémique, tout en créant un dangereux précédent : le droit pénal est utilisé à mauvais escient pour cibler des avocat·e·s, leur ordre professionnel et des défenseur·e·s des droits humains qui ne font que leur travail.

« En Turquie, les lois générales relatives à la lutte contre le terrorisme ouvrent la voie aux abus. Les poursuites judiciaires intentées envoient un message très inquiétant : exiger des autorités qu'elles respectent leurs obligations en matière de droits humains peut avoir de lourdes conséquences et il est possible de restreindre arbitrairement le droit à la liberté d'expression des avocat·e·s, de leurs représentant·e·s et des citoyen·ne·s. Compte tenu de ces éléments, la seule issue équitable est l'acquittement de tous les dirigeants du Barreau d'Istanbul lors de l'audience de demain. »

Au regard de ces préoccupations, les organisations internationales demandent au tribunal d'Istanbul d'évaluer la légalité et le bien-fondé des procédures engagées au pénal et au civil, conformément aux obligations contraignantes incombant à la Turquie en vertu du droit international relatif aux droits humains, y compris les normes relatives à l'indépendance des avocats et des barreaux et aux droits à la liberté d'expression et d'association. Comme le souligne le mémoire, les accusations et les mesures prises à l'encontre du bureau exécutif du Barreau d'Istanbul enfreignent ces normes, semblent poursuivre un objectif politique caché et risquent de créer un dangereux précédent pour la profession juridique et les institutions qui défendent les droits.

Voici les organisations qui ont soumis le mémoire : Turkey Human Rights Litigation Support Project, Amnesty International, Conseil des barreaux européens (CCBE), Association européenne des juristes pour la démocratie et les droits humains dans le monde, Barreau fédéral allemand, Human Rights Watch, Institut des droits de l'homme de l'Association internationale du barreau (IBAHRI), Commission internationale de juristes (CIJ), Observatoire international des avocats en danger, Law Society of England and Wales, Avocats pour avocats (L4L) et PEN Norvège.

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