11/03/2025 | News release | Distributed by Public on 11/03/2025 23:18
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a alerté lundi sur une nouvelle vague de déplacements, survenue quelques jours après la chute d'El Fasher, jusqu'alors le dernier bastion de l'armée soudanaise au Darfour du Nord, désormais sous le contrôle des FSR.
Depuis avril 2023, le Soudan est ravagé par une guerre fratricide opposant les forces armées nationales, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, aux FSR de Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti. Né d'une lutte de pouvoir entre les deux hommes forts du régime, le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et plus de dix millions de déplacés, plongeant le pays dans l'une des pires crises humanitaires au monde.
Selon le porte-parole adjoint du Secrétaire général de l'ONU, Farhan Haq, la situation reste alarmante plus d'une semaine après la prise de la ville. « Nous continuons de recevoir des informations crédibles sur des exécutions sommaires et des violences sexuelles », a-t-il déclaré. El Fasher demeure barricadée, et les civils sont dans l'impossibilité de fuir.
Des centaines de civils, dont des travailleurs humanitaires, auraient été tués au cours des derniers jours, tandis que de nombreux habitants restent piégés, sans communication avec l'extérieur.
Le bureau des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) dénonce le blocage de l'aide vitale par les FSR, en violation du droit international humanitaire, et appelle à un accès immédiat et sans entrave aux populations assiégées. « Un cessez-le-feu immédiat est crucial pour protéger les civils », a insisté M. Haq.
D'après l'OIM, près de 71 000 personnes ont fui El Fasher et les zones environnantes depuis le 26 octobre, la plupart rejoignant Tawila, une ville avoisinante où les camps sont déjà surpeuplés.
Les nouveaux arrivants disent avoir été témoins de scènes de meurtres, d'enlèvements et de violences sexuelles durant leur fuite.
À Tawila, les conditions sont effroyables : familles sans abri, vivres épuisés, eau rare. « Nous et nos partenaires fournissons une aide d'urgence: repas, soins, eau, assainissement, nutrition et soutien psychosocial. Mais ces efforts ne couvrent qu'une fraction des besoins », a précisé M. Haq.
Parallèlement, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a exprimé lundi sa « profonde inquiétude » face aux informations faisant état de massacres, viols et autres crimes commis à El Fasher lors de l'offensive des FSR. Ces atrocités, précise l'institution dans un communiqué, « s'inscrivent dans un schéma plus large de violences qui frappe l'ensemble du Darfour depuis avril 2023 ».
Le tribunal international est compétent pour enquêter sur les crimes commis dans la région, où son bureau du procureur mène déjà une instruction sur les violations présumées, en coopération avec les groupes de victimes, la société civile et les organisations internationales. Des mesures immédiates ont été prises pour préserver et recueillir des preuves liées aux crimes d'El Fasher.
Le bureau du procureur rappelle la condamnation récente d'Ali Kushayb, ancien chef janjawid, une ex-milice responsable d'atrocités contre les communautés non arabes du Darfour, dont sont issues les FSR. M. Kushayb a été reconnu coupable pour des crimes commis dans les années 2000, mais similaires à ceux rapportés aujourd'hui. Le bureau du procureur a vu dans cette condamnation « un avertissement adressé à toutes les parties au conflit qu'il y aura des comptes à rendre ».
À l'est du Darfour, dans le Kordofan, les violences s'intensifient. L'OIM signale près de 37 000 déplacés entre le 26 et le 31 octobre, fuyant Bara, Um Rawaba et les villages alentour vers Sheikan et l'État du Nil Blanc.
Selon Farhan Haq, des violations graves, dont des exécutions sommaires de civils, y auraient également été commises.
Dans le Kordofan du Sud, l'UNICEF rapporte qu'au moins huit enfants ont été tués et trois blessés lors de frappes de missiles, le 31 octobre, contre des abris de déplacés à Kadugli, la capitale régionale - une tragédie qui illustre, selon l'agence, « les risques graves auxquels font face les civils ».
Dans un rapport conjoint, ONU Femmes et OCHA dénoncent par ailleurs une escalade des violences dirigées contre les femmes et les filles.
Les violences sexuelles, les enlèvements, la traite, les détentions arbitraires et les accusations de collaboration avec l'ennemi sont devenus des pratiques répandues, voire systématiques.
Le rapport s'appuie sur les témoignages de 150 femmes et jeunes femmes, recueillis par 65 organisations locales dirigées par des femmes, actives dans sept régions du pays - de Khartoum au Nil Blanc.
À El Fasher, des exactions commises par des hommes en uniforme ont conduit à de nombreuses grossesses non désirées. Des organisations féminines locales signalent un flot d'appels à l'aide émanant de femmes retenues parfois pendant des mois par des groupes armés.
Plus de 100 cas de femmes libérées après des périodes de détention prolongée ont été confirmés dans différentes régions du pays, notamment près d'Al Genina, au Darfour, et dans la région du Nil Blanc.
Selon l'ONG Médecins sans frontières, 56 % des victimes de violences sexistes traitées dans le Darfour du Sud ont été agressées par des non-civils - militaires, policiers ou membres de groupes armés. Une autre organisation locale a recensé plus de dix décès de femmes et de filles mortes des suites de viols ou de blessures infligées pendant leur captivité.
À Khartoum, des associations signalent que les femmes déplacées du Darfour sont visées en raison de leur appartenance ethnique.
Les femmes représentent plus de la moitié des personnes déplacées, dont près de 30 % sont des filles de moins de 18 ans. Souvent contraintes de fuir sous les tirs, elles se retrouvent privées d'éducation, de revenus et de protection, exposées à un risque accru d'exploitation et de violence.
Les attaques contre les établissements de santé ont rendu presque impossible l'accès aux soins maternels et reproductifs, alors que les grossesses liées aux viols se multiplient.
Malgré les menaces et le manque de ressources, les organisations locales dirigées par des femmes poursuivent leur travail : elles maintiennent des espaces sûrs, déploient des cliniques mobiles et assurent un soutien psychosocial aux survivantes.
L'OCHA rappelle que le plan humanitaire pour le Soudan n'est financé qu'à 28 %, soit 1,17 milliard de dollars reçus sur les 4,16 milliards nécessaires. Ce manque de moyens compromet gravement la capacité des agences à répondre à l'urgence.