07/30/2025 | Press release | Archived content
Si la grâce royale de juillet 2024 a permis la libération des journalistes Taoufik Bouachrine, Omar Radi et Soulaimane Raissouni, les espoirs qu'elle avait suscités quant à une amélioration de la liberté de la presse ont été déçus. Depuis, les campagnes de harcèlement judiciaire et de diffamation contre les journalistes critiques, loin de s'interrompre, se sont multipliées. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à mettre fin à la répression des professionnels des médias et à engager une réelle réforme du secteur.
Au Maroc, la presse indépendante est victime de répression : plusieurs journalistes sont ciblés par diverses charges. La justice est ainsi détournée en outil d'intimidation pour les réduire au silence. C'est le casdu directeur du média en ligne Badil.info Hamid El Mahdaoui, figure de la presse indépendante, connu pour son travail sur la corruption et la défense des personnes les plus marginalisées. Il fait actuellement l'objet de cinq procédures judiciaires, toutes initiées par le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi.
Le 30 juin 2025, la cour d'appel a confirmé sa condamnation à 18 mois de prison et 1,5 million de dirhams d'amende (environ 130 000 euros) pour "diffusion de fausses allégations"et "diffamation". S'appuyant sur le Code pénal, cette décision contourne la loi sur la pressequi elle exclut les peines privatives de liberté pour ce type d'infractions. Cette affaire, désormais portée devant la Cour de cassation, s'ajoute à deux autres poursuites pour "injures"et "diffusion de fausses allégations" en lien avec des commentaires journalistiques sur l'action du ministre. Deux autres enquêtes ont été ouvertes en lien avec ses publications.
Autre exemple avec le directeur du site Achkayen, Hicham El Amrani, jugé lui aussi pour "injures" et "publication de mauvaise foi d'allégations ou de faits inexacts " à la suite d'une plainte du ministre de la Justice, visant un article publié en juillet 2024 sur l'affaire dite "Escobar du Sahara", mêlant corruption, trafic de drogue et implication de figures influentes. Le journaliste a finalement été acquitté en avril 2025.
"Un an après la grâce royale, les journalistes marocains restent sous la menace constante de poursuites judiciaires et de campagnes de diffamation. RSF appellent les autorités à mettre en place une réforme structurelle pour garantir la liberté de la presse et ouvrir la voie à un véritable pluralisme.
D'autres journalistes ont été poursuivis pour des charges similaires au cours de l'année passée :
La journaliste free-lance Hanane Bakour, condamnée en appel en décembre 2024 à un mois de prison avec sursis à la suite d'une plainte du parti du Rassemblement national des indépendants, dirigé par le Premier ministre, pour un post Facebook sur les élections régionales.
Le journaliste free-lance Mouhamed Youssfi, a interjeté appel après avoir été condamné en juin 2025 à deux mois de prison ferme et 5 000 dirhams (environ 470 euros) d'amende pour "diffamation", "propagation de fausses allégations", "outrage à un corps constitué" et "publication d'images de personnes sans leur consentement" à la suite de plaintes déposées par des élus locaux à Laâyoune où il avait été empêché de couvrir un événement officiel.
Le directeur de publication du site d'information Alyaoum24 Abdelhaq Belachkar, poursuivi par le ministre de la Justice pour "insultes" et "diffamation" après une enquête sur une déclaration controversée du ministre concernant une expertise judiciaire dans un litige immobilier, l'affaire est toujours en cours.
Dès le lendemain de la grâce royalede 2024, une vaste campagne de diffamation a visé les journalistes libérés. Ces attaques, touchant aussi leurs proches, comportent des accusations graves telles que l'intelligence avec l'étranger, la corruption ou les atteintes à la vie privée. Parmi les professionnels des médias les plus ciblés figurent le fondateur de l'ancien quotidien Akhbar Al-Yaoum Taoufik Bouachrine, incarcérépendant six ans sur la base d'accusations de "traite d'êtres humains", "abus de pouvoir à des fins sexuelles", "viol et tentative de viol". Son collègue Soulaimane Raissouni, qui a purgéune peine de quatre ans de prison pour "agression sexuelle", a dû quitter le pays face à la violence des campagnes de diffamation. Omar Radi journaliste d'investigation, également emprisonnépendant quatre ans pour des accusations liées au "viol", a également été visés par des campagnes de diffamation, tout comme Hamid El Mahdaoui. Enfin le journaliste du site d'information Al 3omk Khalid Fatihia, lui, été diffamé publiquement par un ancien Premier ministre lors d'un meeting de son parti.
La majorité de ces attaques sont orchestrées viades sites spécialisés dans la diffamation et la désinformation, dans une stratégie délibérée de terreur visant à intimider les journalistes. Ces derniers sont ainsi victimes d'une instrumentalisation croissante d'affaires relevant du droit commun dans le but de les discréditer et, in fine, de les faire taire. S'il est utile de rappeler que les journalistes sont des justiciables comme les autres, nul ne saurait ignorer le caractère systémique, et manifestement infondé, de ces accusations. C'est pour cette raison que RSF appelle le Conseil national de la presse à jouer pleinement son rôle en se saisissant des affaires visant les journalistes susmentionnés, aux fins de déterminer s'il convient de sanctionner les médias impliqués pour des manquements déontologiques, et que l'organisation en appelle également aux autorités marocaines en les invitant à :
respecter la loi sur la presse et l'édition en cessantde recourir au Code pénal pour réduire au les journalistes au silence et privilégier le droit de la presse qui fournit un cadre plus approprié pour le respect des droits et libertés en jeu ;
abroger les "lignes rouges" imposées aux médias dans l'article 71 du Code de la presseet l'aligner avec l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)ratifié par le Maroc ;
instaurer un cadre transparent et non-discriminatoire pour les aides publiques à la presse, afin de renforcer le pluralisme et garantir une information libre et plurielle ;
reprendre un dialogue constructif et rétablir la confiance entre l'éxécutif et les organisations professionnelles ainsi qu'avec les organisations de défense de la liberté de la presse, dont RSF.
Le Maroc occupe la 120e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presseétabli par RSF en 2025.