05/12/2025 | Press release | Distributed by Public on 05/13/2025 11:28
Reporters sans frontières (RSF) s'inquiète de l'annonce de la fermeture, fin mai, du service ouïghour de Radio Free Asia (RFA), le seul service d'information indépendant en langue ouïghoure. Cela fait la suite de la décision du président américain Donald Trump de démanteler l'Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM), qui assurait ses financements. Gulchehra Hoja, journaliste du service ouïghour de RFA (RFA Uyghur), explique à RSF les conséquences dramatiques de cette fermeture pour l'accès à une information fiable dans l'une des régions les plus verrouillées de Chine. RSF exhorte le Congrès américain à prendre des mesures pour rétablir RFA et honorer ses engagements en faveur de la liberté de la presse dans le monde.
"Malgré des menaces constantes, les journalistes ouïghours de RFA ont courageusement et sans relâche révélé l'ampleur réelle des atrocités commises par le régime chinois. Avec la fermeture de RFA Uyghur, la communauté internationale perdra sa seule fenêtre sur l'une des régions les plus fermées de Chine, tandis que le peuple ouïghour sera privé de son seul média indépendant. RSF appelle le Congrès américain et la communauté internationale à réagir face à cette situation alarmante et à soutenir les journalistes de RFA afin qu'ils puissent poursuivre leur travail.
Début mai 2025, Radio Free Asia a annoncé qu'à la fin du mois, la moitié de ses neufs services en langues étrangères cesseraient toute production de contenus, dont son service en ouïghour, seul média indépendant de ce type au monde. Ces coupes budgétaires font suite à un décret signé le 14 mars par le président américain Donald Trump, qui a mis fin au financement fédéral de l'Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM), paralysant ainsi l'agence qui soutient des médias essentiels tels que RFA.
En Chine, pays classé dans les dernières positions du Classement mondial de la liberté de la pressede RSF en 2025 et plus grande prisondu monde pour les journalistes, RFA estl'un des rares médias à documenter la violente campagne de répression contre les groupes ethniques turcophones dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. RSF a interviewé la journaliste de RFA, Gulchehra Hoja.
RSF : Pouvez-vous nous parler du travail des journalistes ouïghours de RFA ?
Gulchehra Hoja :Depuis 26 ans, les journalistes de RFAdénoncent les violations des droits humains commises par le régime chinois à l'encontre des Ouïghours et d'autres peuples turcophones, fournissant au monde entier des informations fiables, des témoignages de première main et des sujets d'actualité. Nous avons rendu compte de l'oppression, de la répression et des politiques injustes des autorités chinoises au Xinjiang. Nos informations ont été utilisées comme référence par le gouvernement américain pour définir sa politique à l'égard de la Chine, ainsi que par des organisations internationales de défense des droits humains et des centres de recherche.
RSF : Quel sera, selon vous, l'impact de la fermeture de RFA sur le peuple ouïghour si son seul accès à des médias factuels et indépendants disparaît ?
G. Hoja: Pour 20 millions d'Ouïghours, RFA était la seule source d'information indépendante et la seule radio à faire entendre leur voix au monde. Cette décision revient à les réduire au silence. Alors que le génocide se poursuit, la Chine renforce sa propagande pour le normaliser. Couper cette voix, c'est abandonner un peuple entier. C'est un geste tragique.
RSF : Qu'ont enduré les journalistes de RFA pour leurs reportages sur la Chine ?
G. Hoja :Les journalistes de RFAont toujours été victimes de la répression transnationale de la Chine. Je suis devenue une cible de la Chine depuis le jour où j'ai pris la parole à la radio sous mon propre nom. En novembre 2001, la Chine a publié un "dossier rouge" [ndlr, un fichier secret des autorités pour surveiller et réprimer les voix critiques] sur moi, détruisant mes vidéos, mes photos et mes fichiers audio datant d'avant mon arrivée aux États-Unis. Ils ont pris ma famille en otage. Ils ont fait pression sur mes parents. Depuis lors, je n'ai pas pu rentrer chez moi. En février 2018, j'ai appris que 25 de mes proches avaientété envoyés dans des camps dits de "rééducation". De plus, 50 membres des familles de six journalistes de notre station de radio ont été kidnappés. Nous n'avons pas cédé à ces menaces et avons continué à informer.
RSF : La fermeture annoncée du service ouïghour de RFA peut-elle être utilisée par le régime chinois pour renforcer sa propagande ?
G. Hoja : La Chine a déjà investi massivement pour bloquer les émissions de Radio Free Asiaet a installé des stations de brouillage spécifiques.. Elle a également utilisé ses organes de communicationspour falsifier nos informations. Aujourd'hui, en fermant notre station de radio de son propre chef, le gouvernement américain récompense le gouvernement chinois. Sans RFA, la Chine deviendra un véritable trou noir de l'information. Je ne comprends toujours pas le motif derrière cette décision. La perte de notre station de radio est le signe que les États-Unis n'ont pas tenu leur promesse en matière de démocratie et de droits humains. Je pense que cela nuit également aux États-Unis. Rien ne peut remplacer RFA.
RSF : Quelle est votre réaction au fait que, après la fermeture de votre média, les voix ouïghoures risquent de perdre leur tribune dans le monde démocratique ?
G. Hoja : La fermeture d'un média aussi important ce n'est pas seulement une perte d'emploi, c'est un effondrement moral. J'ai consacré 24 ans de ma vie, non seulement mon esprit, mais aussi mon cœur et mon âme à cette chaîne. En conséquence, je suis devenue la cible du régime chinois, qui m'a qualifié de "terroriste". Avant, je n'avais pas peur de ces menaces ouvertes, j'étais plutôt fière, car j'avais la certitude que le gouvernement américain nous soutiendrait. À l'heure où la Chine torture et tue mon peuple, en tant que journalistes ouïghours aux États-Unis, nous avons plus que jamais besoin de protection [ndlr, contre la répression transnationale de la Chine]. Je ne peux pas imaginer notre avenir. Mais ce qui nous inquiète le plus, c'est le désespoir de notre peuple qui n'a pas voix au chapitre.
RSF : Quel avenir pour les journalistes de RFA ?
G. Hoja : Depuis des années, notre peuple entend dire que RFA est la voix des noyés, la voix de la presse libre... C'était aussi notre promesse à notre peuple. Notre mission était de diffuser leur voix dans le monde entier. Nous n'abandonnerons pas notre mission d'être leur voix, car nous pouvons également faire entendre nos reportages grâce aux réseaux sociaux. J'exprime mon profond respect à mes courageux amis journalistes qui luttent pour la justice contre les oppresseurs. Être la voix des sans-voix a un prix, et défendre la justice contre les oppresseurs demande du courage. Nous sommes fiers d'être journalistes.
Répression chinoise contre les journalistes ouïghours
Depuis 2016, Pékinmèneune violente campagne de répression dans la province du Xinjiang au nom de la "lutte contre le terrorisme", qualifiée de "génocide" par les observateurs internationaux. Selon le dernier décompte de RSF, 79 journalistes et défenseurs de la liberté de la presse sont détenus au Xinjiang, dont le lauréat du prix Sakharov Ilham Tohti. Dans le même temps, la Chine exerce une répression transnationalecontre les journalistes ouïghours qui continuent de rendre compte des atrocités commises par le régime.
Placée 178e sur 180 pays et territoires dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2025, la Chine est la plus grande prison au monde pour les journalistes et défenseurs de la liberté de la presse.