Government of the Grand Duchy of Luxembourg

01/20/2025 | Press release | Distributed by Public on 01/20/2025 02:26

Xavier Bettel: 'Donald Trump est un 'game changer'

Interview : Paperjam (Julien Carette)

Virgule: Depuis l'annonce du cessez-le-feu à Gaza en milieu de semaine dernière, on a beaucoup entendu que l'influence américaine, et notamment celle de Donald Trump, a été primordiale dans cet accord. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait finalement avoir de bons côtés?

Xavier Bettel: Je vous avoue ne pas savoir exactement qui a négocié quoi avec qui et comment... J'ai eu beaucoup d'échanges ces dernières heures (cette interview a été effectuée ce jeudi après-midi, NDLR) avec mes homologues égyptiens et qataris, ainsi qu'avec le président et le ministre des Affaires étrangères israéliens, mais pas avec Joe Biden et Donald Trump. Je ne souhaite donc pas attribuer de "bons ou de mauvais points" à l'un ou à l'autre. Je ne peux que remercier ceux qui savent qu'ils ont été nécessaires à l'obtention de cet accord. L'essentiel est que ce dernier soit concrètement là et qu'il puisse permettre à la population civile de Gaza d'arrêter de souffrir.

Après, c'est vrai que Donald Trump est ce qu'on appelle un "game changer". J'ai travaillé quatre ans avec lui lorsqu'il était déjà président et moi Premier ministre. Avec lui, on sait qu'il risque d'y avoir beaucoup d'incertitudes, d'imprévisibilité aussi et de "transactionnel". C'est un homme d'affaires. Il ne vous fait pas de cadeau. Il a son caractère, est spontané et direct. Mais, avec sa manière de travailler, il arrivera peut-être à débloquer certaines situations qui le restaient jusque-1à...

Virgule: L'effet d'annonce de ce cessez-le-feu est important. Mais avec l'instabilité que l'on connaît dans cette région du monde, peut-il durer longtemps?

Xavier Bettel: Je pense que si on s'interroge sur la durée de vie d'un tel accord ou sur la volonté de vouloir la paix, c'est prendre le problème par le mauvais bout. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est arriver le plus vite possible à une situation à deux États. Pour que la paix palestinienne soit la sécurité israélienne. Il faut que la Palestine puisse vivre et avoir des institutions qui fonctionnent.

Paperjam: Pour en revenir à Donald Trump, son retour aux affaires fait craindre un désengagement américain en Europe. Principalement au niveau de la défense. Une crainte fondée selon vous?

Xavier Bettel: La première chose à dire, c'est que l'Europe devrait avant tout pouvoir compter sur elle-même. Certes, il est important d'avoir des partenaires, mais on ne peut pas être tributaire des autres. Quand Donald Trump dit "America first", il ne dit pas "America alone". Il faut une Union européenne davantage indépendante. Les relations politiques de l'un ou l'autre ne peuvent pas faire trembler nos relations économiques, sécuritaires, etc. Nous devons nous réindustrialiser, nous développer. "Europe first!", aurais-je envie de vous dire.

Quant à Donald Trump, ce qu'il veut, c'est voir davantage de dépenses militaires de la part des autres nations. Lorsque j'étais Premier ministre, l'effort de défense luxembourgeois est passé de 0,39% du PIB (produit intérieur brut) en 2013 à 0,74% en 2024. Avec l'objectif d'atteindre 2% du RNB (le revenu national brut, un seuil plus bas à atteindre, NDLR) à l'horizon 2030. Cela n'a pas été un choix facile à faire. Nous y avons été poussés par la Russie. Vous savez, je suis quelqu'un qui considère que la politique de coopération est toujours le meilleur investissement en vue de la protection de la défense.

Parce que si on donne des perspectives à des jeunes, on évite fortement de les voir tomber dans l'extrémisme. Mais l'agression de la Russie en Ukraine nous a montré qu'on pouvait aussi avoir des pays "voisins" en qui on ne pouvait pas avoir confiance. Cela a un peu changé ma vision. Je comprends aujourd'hui que les dépenses militaires sont, malheureusement, très utiles. Et c'est une chose que je n'aurais jamais pu imaginer devoir penser...

Virgule: Partagez-vous la crainte de certains dirigeants scandinaves face au risque de guerre en Europe?

Xavier Bettel: Il faut tout faire pour l'éviter! Après, je me dis que si Vladimir Poutine avait voulu attaquer l'Europe, il l'aurait déjà fait. Pourquoi aurait-il attendu? Aujourd'hui, il apparaît davantage en position de faiblesse.

C'est pour cela qu'il ne faut pas pousser les Chinois dans ses bras, comme je l'ai déjà expliqué. Ceux qui pensent que la Chine est à associer à la Corée du Nord ou à l'Iran dans le contexte de la guerre en Ukraine se trompent. C'est un des rares pays qui peut faciliter une paix durable. Ce n'est pas moi qui le dit, mais Antony Blinken, le secrétaire d'État américain. Selon lui, les Chinois ont permis d'éviter l'emploi de la bombe atomique dans ce conflit. On ne saura sans doute jamais si c'est complètement vrai ou non.

Mais évitons que les Chinois deviennent les alliés des Russes.

Virgule: Faut-il sensibiliser la population luxembourgeoise en vue d'une possible guerre, comme certains pays - dont la Suède et la Finlande - l'ont déjà fait?

Xavier Bettel: Les pays dont vous parlez sont voisins directs de la Russie et pourraient peut-être assister à certains débordements. Je ne sais pas si la Suède et la Finlande sont vraiment dans le viseur... Il y a quand même le bouclier de l'Otan en place et une certaine politique de dissuasion.

Cependant, la paix n'est pas acquise, contrairement à ce qu'on a pu penser depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On a pu voir en Ukraine qu'une agression est toujours possible. La Russie apparaît comme fortement imprévisible. De là à dire que la guerre sera à nos portes demain, il y a un pas que je ne franchirai pas. Je ne veux pas tomber dans la névrose ou dans le catastrophisme. Vivre la boule au ventre ou dans la peur, ce n'est pas ce que je veux. Donc, faisons tout pour l'éviter.

Virgule: Donald Trump a promis d'en finir avec la guerre en Ukraine une fois qu'il sera en place. Vous y croyez?

Xavier Bettel: Si je me souviens bien, il expliquait pouvoir régler le problème en 48 heures (en 24 heures en réalité, NDLR). On verra donc jeudi matin, puisque son investiture est programmée à ce lundi.

Virgule: Ce qu'il s'est passé au Proche Orient ces derniers jours a tendance à lui donner un peu de crédit...

Xavier Bettel: Comme je vous le disais, on verra jeudi matin.

Virgule: Vous y croyez?

Xavier Bettel: Je pense qu'il peut arriver à quelque chose. Si c'est le cas, toute la question sera alors de voir si l'accord trouvé ira dans l'intérêt de l'Ukraine. Si c'est pour imposer certaines choses aux Ukrainiens et, donc, les humilier, je ne sais pas si ce sera acceptable aux yeux de la communauté internationale. Il faut que l'Ukraine se trouve en position de force. La perte de la Crimée serait une chose. Mais il y a aussi la zone de Lougansk et de Donetsk. Une région où ne vivent plus d'Ukrainiens, mais qui appartient toujours à l'Ukraine. Faut-il en faire une zone tampon ou neutre? Si oui, avec la présence dans la région de pays garants de la paix?

Et puis, il y a la dernière question, celle de l'impunité et de la réparation. Elle est cruciale. Est-ce que les Ukrainiens sont prêts à donner l'impunité aux Russes? Sont-ils prêts à dire que les Russes n'ont pas besoin de payer après avoir mis leur pays à feu et à sang? Ce sont des points à côté desquels on se doit d'être attentifs.

Virgule:Il serait possible de ne pas accepter un éventuel accord?

Xavier Bettel: Bien sûr. On ne peut pas finaliser un accord sur l'Ukraine sans l'Ukraine. Je pense que Donald Trump en est conscient. Tout comme un accord réalisé sur le dos des Ukrainiens serait très dur à accepter. La Russie ne peut pas sortir victorieuse d'un deal avec Donald Trump. Il ne faut jamais oublier qui a agressé qui dans ce conflit.