RSF - Reporters sans frontières

10/08/2025 | Press release | Distributed by Public on 10/08/2025 09:11

Au Cameroun, 42 années terribles pour la presse : RSF revient sur dix entraves majeures au journalisme sous le régime Biya

À la veille de l'élection présidentielle du 12 octobre qui laisse entrevoir une possible réélection de l'actuel président nonagénaire Paul Biya, Reporters sans frontières (RSF) dresse un bilan alarmant de la situation de la liberté de la presse au Cameroun et revient, en dix points clés, sur les entraves majeures à l'exercice du journalisme de ces dernières années.

"Cinq journalistes tués, un journaliste détenu arbitrairement depuis neuf ans et condamné à 32 ans de prison, un organe de régulation des médias inféodé au pouvoir, les délits de presse toujours punis par des peines privatives de liberté… Les 42 années au pouvoir du président Paul Biya, 92 ans, en lice pour un huitième mandat, sont sombres pour la presse. RSF revient sur dix attaques majeures contre le journalisme, représentatives de la gravité de la situation en matière de liberté de la presse dans le pays - l'un des plus dangereux d'Afrique pour la profession - et de l'ampleur de la tâche qui attend le prochain président. Nous l'appelons à faire de la liberté de la presse une question prioritaire afin de donner aux Camerounais un véritable accès à leur droit à l'information.

Anne Bocandé
Directrice éditoriale de RSF
  1. Assassinat de Martinez Zogo (2023)

Enlèvement, torture et meurtre de l'animateur d'Amplitude FM… Le corps mutilé du journaliste Martinez Zogoa été retrouvéle 22 janvier 2023 en périphérie de Yaoundé, la capitale camerounaise, cinq jours après son enlèvement. Après avoir révélél'implication de plusieurs membres des services de renseignement camerounais dans ce crime odieux, RSF a dévoiléles détails scabreux de cette affaire d'État. Deux ans et demi après l'ouverture du procès intenté contre des membres des services secrets et un homme d'affaires proche du pouvoir, les débats sur le fond ont enfin débutéle 2 septembre 2025. Pour reconstituer les circonstances du meurtre, le tribunal militaire de Yaoundé doit désormais entendre l'ensemble des 44 témoins que compte l'accusation. Les prochaines audiences doivent avoir lieu les 13 et 14 octobre.

  1. Mort en détention de Samuel Wazizi (2019)

Arrêté le 2 août 2019 à Buea, capitale de la région anglophone du sud-ouest du pays, le journaliste de Chillen Music Television(CMTV) Samuel Wazizi est mort quelques jours plus tarddans des circonstances troubles. Selon des photos prises à Yaoundé le 13 août 2019, le journaliste, arrêté après des propos critiques tenus sur sa chaîne concernant la gestion de la crise anglophone au Cameroun, présentait de nombreuses blessures qui permettent légitimement de soupçonner des actes de torture infligés les jours précédents. Une mort dissimuléependant près de dix mois par les autorités, "des suites d'une sepsis sévère" selon elles. Aucun rapport d'enquête n'a été rendu public sur les circonstances du décès. Son cas illustre tristement l'opacité des procédures et une absence de justice indépendante.

  1. Affaire Amadou Vamoulké (depuis 2016)

L'ancien directeur de la Radiotélévision publique camerounaise(CRTV), Amadou Vamoulké, est détenu arbitrairementdepuis neuf ans. Il a été condamnéen 2024 à 20 ans de prison après 178 renvois successifs - un record mondial - et à 12 ans de prisonen décembre 2022, soit 32 ans en tout, sur la base d'accusations, dans les deux affaires, de "détournements de fonds publics" au profit du média qu'il a dirigé pendant 11 ans, accusations sans fondement ni preuve tangible. Sa première condamnation a eu lieu après près de sept ans de détention préventive, alors que la loi prévoit un maximum de 12 mois, renouvelable une fois, pour les crimes. Le journaliste de 75 ans, reconnu par ses pairs pour son intégrité, souffred'au moins six pathologies nécessitant des soins médicaux avancés. Dès 2020, le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires s'est déclaré "profondément préoccupé"par la "gravité de l'état" du journaliste.

4. Censure présidentielle

Toute discussion médiatique sur la santé du président Biya est interditeau nom de la "sécurité nationale". Une note ministérielle, datée du 9 octobre 2024, a ordonné à chaque gouverneur de région de former "des cellules de veille chargées de suivre et d'enregistrer toutes les émissions et débats dans les médias privés et d'identifier les auteurs de commentaires tendancieux". Dans le même temps, la présidence a publié un communiqué rassurant sur l'état de santé de Paul Biya, le plus vieux dirigeant élu en exercice au monde, qui n'avait fait aucune apparition publique depuis le début du mois de septembre 2024.

5. Un organe de régulation des médias punitif aux ordres

Le Conseil national de la communication (CNC) multiplie les suspensions et avertissements. Le dernier exemple en date remonte au 23 juillet, lorsque le journal satirique Le Popoliet son directeur de publication, Paul Louis Nyemb Ntoogue, ont été interditsde diffusion et d'exercice pour six mois après avoir publié une caricature représentant un ministre. Le manque d'indépendance du CNC est un secret de polichinelle : ses neuf membres sont nommés par décret du président de la République.

6. Lois liberticides utilisées contre la presse

Les infractions liées à la presse sont de nature pénale et sont passibles de peines de prison. Mais outre ce problème majeur, au cours des dernières années, les différentes lois ont été largement contournées pour être mises au service de la répression du journalisme. La loi antiterroriste de 2014 a notamment été utilisée de manière récurrente pour poursuivre des journalistes critiques devant des tribunaux militaires : en 2017, le tribunal militaire de Yaoundé a condamnéle correspondant de Radio France internationale (RFI) Ahmed Abbaà dix ans de prison et une lourde amende après sa couverture des attaques du groupe terroriste Boko Haram ; en 2018, le correspondant dans la région nord-ouest de la radio privée Afrik 2 Radio Thomas Awah Juniora été condamné à 11 ans de prison pour de multiples chefs d'accusation ; ou encore en septembre 2024, le journaliste indépendant Kingsley Fumunyuy Njokaa été condamnéà dix ans de prison pour "sécession et complicité de bande armée" en raison de publications critiques datant de 2020 sur le conflit armé qui sévit au nord-ouest du pays.

7. Impunité au nord du Cameroun

Le journaliste Anye Nde Nsoh, âgé de seulement 26 ans, est tué par ballesà Bamenda, dans le nord-ouest du Cameroun en mai 2023. Son assassinat révèle à quel point les journalistes dans les régions anglophones du Cameroun travaillent dans une totale insécurité, pris entre le marteau des groupes armés séparatistes et l'enclume des forces armées camerounaises. Comme pour nombre d'autres cas, l'enquête reste au point mort, alimentant un climat de peur dans une région où la presse est de plus en plus absente. L'enlèvement fait aussi partie des risques qui pèsent sur les journalistes dans la région.

8. Conflit ouvert entre les autorités et Équinoxe TV

Fondée en 2006, la chaîne Équinoxe TVest l'une des chaînes privées parmi les plus critiques et les plus populaires du Cameroun. Un positionnement qui lui attire son lot d'ennuis divers et variés : suspensionde son directeur, d'une de ses émissions phares à plusieurs reprises, accusations et menaces envers la chaîne par des membres du gouvernement… Ce harcèlement s'inscrit dans un contexte de répression généralisée des médias dans le pays.

9. Pressions accrues avant la présidentielle de 2025

En amont de l'élection prévue ce 12 octobre, les autorités ont démontré à plusieurs reprises leur capacité à entraverle travail des journalistes. Le CNC a ainsi demandé aux médias de suspendre les émissions de débats politiques à compter du 27 septembre, en les remplaçant par des journaux de campagne. Les professionnels des médias sont soumis à un double processus d'accréditation et sont tenus de présenter une carte de presse, alors même que cette dernière n'est quasiment jamais attribuée. Les journalistes ont été empêchés à plusieurs reprises de couvrir des événements publics, particulièrement ceux de l'opposition.

10. Dégradation internationale dans le Classement mondial de la liberté de la presse

En 2025, le Cameroun se classe 131e sur 180 pays et territoires au Classement mondial de la liberté de la presseétabli par RSF en 2025. Placé à la 83e position en 2005, le pays a chuté de 48 places en vingt ans. Ces dix dernières années, le Cameroun stagnait autour de la 130e place, témoignant à la fois du peu d'efforts déployés par les autorités pour améliorer la situation, mais aussi du climat hostile rencontré par les professionnels des médias : le Cameroun continue de constituer l'un des pays les plus dangereux du continent pour l'exercice du journalisme.

Afrique
Cameroun
Découvrir le pays
Image
131/ 180
Score : 42,75
Publié le08.10.2025
  • Afrique
  • Cameroun
  • Détentions et procédures arbitraires
  • Violences contre les journalistes
  • Actualité
  • Dénonciation
  • Président
  • Gouvernement
  • Liberté de la presse
  • Droit à l'information
  • Impunité
  • Politique
  • Assassinat
  • Détention arbitraire
RSF - Reporters sans frontières published this content on October 08, 2025, and is solely responsible for the information contained herein. Distributed via Public Technologies (PUBT), unedited and unaltered, on October 08, 2025 at 15:11 UTC. If you believe the information included in the content is inaccurate or outdated and requires editing or removal, please contact us at [email protected]