10/03/2025 | Press release | Archived content
L'intensification de l'offensive militaire israélienne dans la ville de Gaza depuis la mi-août a déclenché une nouvelle phase catastrophique de déplacements forcés massifs, contraignant des centaines de milliers de Palestinien·ne·s - dont beaucoup ont déjà été déplacés à plusieurs reprises - à se réfugier dans des enclaves surpeuplées dans le sud de la bande de Gaza occupée, sans accès suffisant à l'eau potable, à la nourriture, aux soins médicaux, à un abri ni aux infrastructures vitales, a déclaré Amnesty International le 3 octobre 2025.
Depuis qu'elle a intensifié ses opérations dans la ville de Gaza, l'armée israélienne a adopté une série de mesures visant à semer la panique parmi les habitants et à les forcer à partir, sciemment, vers des zones dangereuses qui ne sont pas équipées pour les accueillir. Elle a émis des ordres de déplacement massif illégaux et d'envergure, lancé une campagne de destruction de tours d'immeubles où des centaines de familles déplacées ont trouvé refuge, déployé des véhicules téléguidés chargés d'explosifs pour procéder à des démolitions ciblées, et intensifié les bombardements aériens sur des quartiers et des camps de réfugié·e·s déjà surpeuplés.
« Au regard de cet assaut cataclysmique, il semble qu'Israël soit déterminé à anéantir la ville de Gaza, à faire partir toute sa population, à raser de vastes pans de la ville et à en prendre le contrôle total. Depuis près de deux ans, les civil·e·s palestiniens de la bande de Gaza sont bombardés, affamés et soumis à des vagues successives de déplacements forcés massifs, tandis qu'Israël poursuit son génocide à Gaza. Orchestrer une nouvelle vague de déplacements dans ce contexte de souffrance est inhumain, et constitue une violation flagrante du droit international », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice des recherches, du plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International.
Dans la matinée du 1er octobre, l'armée israélienne a annoncé que la circulation sur la route côtière al Rashid, du sud au nord, serait bloquée d'ici midi, indiquant que les personnes déplacées ne seraient pas autorisées à revenir et bloquant la circulation des rares véhicules disponibles pour transporter ces personnes et leurs biens. Quelques heures plus tard, le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, a publié cette déclaration sur X (anciennement Twitter) : « C'est la dernière occasion pour les habitant·e·s de Gaza qui le souhaitent de partir vers le sud et de laisser les terroristes du Hamas isolés dans la ville de Gaza, face à l'action de la Force de défense d'Israël qui se poursuit avec une intensité maximale. Ceux qui resteront à Gaza seront considérés comme des terroristes et des partisans du terrorisme. »
« Les dirigeants israéliens bénéficient d'un tel niveau d'impunité que le ministre de la Défense peut ouvertement publier une déclaration qui invalide de facto l'un des principes fondamentaux du droit international humanitaire : l'obligation de faire la distinction, en tout temps, entre civils et cibles militaires. En menaçant de traiter les centaines de milliers de personnes qui restent à Gaza comme des » terroristes » et des » partisans du terrorisme « , il donne le feu vert aux crimes de guerre, comme le fait de cibler les civils et d'imposer des sanctions collectives », a déclaré Erika Guevara Rosas.
Les hôpitaux et les centres de soins à Gaza s'effondrent et les organisations humanitaires, dont Médecins Sans Frontières et le Comité international de la Croix-Rouge, sont contraintes de suspendre leurs activités dans la ville en raison de l'intensification des opérations.
Il n'existe pas de chiffres précis sur le nombre de personnes déplacées de force de la ville de Gaza depuis la mi-août. Toutefois, selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le groupe de gestion des sites a enregistré plus de 400 000 déplacements du nord vers le sud de Gaza, principalement vers Deir al Balah et Khan Younès. Ces mouvements se sont encore accrus depuis le 5 septembre, lorsque l'armée israélienne a annoncé et lancé une opération concertée ciblant les tours d'immeubles, puis émis un ordre de déplacement massif de toute la ville de Gaza le 9 septembre.
Cependant, des centaines de milliers de civils restent pris au piège sous les bombardements qui frappent la ville de Gaza et le nord de la bande de Gaza. Beaucoup ne peuvent pas fuir, faute de moyens pour payer le transport ou parce que la petite zone d'évacuation désignée par Israël est surpeuplée et impropre à l'habitation humaine. Les personnes porteuses de handicaps, âgées ou ayant épuisé depuis longtemps leurs réseaux de soutien n'ont d'autre choix que de rester sur place.
Nous sommes restés malgré les bombardements intenses ; nous ne comptons plus le nombre de fois où nous avons échappé à la mort. Chaque nuit était pire que la précédente.
Shireen, une femme déplacée et sa famille qui sont restés dans le camp de réfugiés d'al Shati malgré les tracts sur les ordres de déplacement« Ils restent à Gaza parce qu'ils n'ont nulle part où aller, n'ont pas les moyens de fuir dans un contexte de grave pénurie de carburant et d'abris en raison du blocus illégal imposé par Israël, ou ne peuvent endurer un nouveau déplacement humiliant et ses conséquences : aussi ne peut-on laisser Israël priver les civils de la ville de Gaza de la protection à laquelle ils ont droit. Ils doivent bénéficier d'un accès sans entrave aux services et aux denrées indispensables à leur survie et d'une protection contre les attaques illégales », a déclaré Erika Guevara Rosas.
Amnesty International s'est entretenue avec 16 personnes déplacées qui ont dû quitter la ville de Gaza entre le 6 et le 17 septembre. Elles sont installées dans quatre zones distinctes du gouvernorat de Deir al Balah, où elles n'ont pas accès aux services élémentaires. Les toilettes se résument à un petit trou creusé dans le sol juste derrière leur tente, entouré d'une bâche épaisse en nylon. Les plus jeunes enfants, jusqu'à 10 ans, sont chargés de transporter 4 litres d'eau jusqu'à leur tente. Sept de ces 16 personnes ont dû parcourir à pied les 20 kilomètres qui séparent Gaza de Deir al Balah.
« Laisser ma fille malade derrière moi est mon pire cauchemar »
Le 5 septembre, l'armée israélienne a annoncé une campagne de démolition de tours d'immeubles, la plupart étant déjà endommagées par des mois de bombardements. Ces bâtiments, ainsi que les campements à proximité immédiate, servaient d'abris à des milliers de personnes, principalement des familles déplacées. Ils étaient souvent entourés de tentes formant des camps de fortune sordides et surpeuplés, abritant principalement des personnes originaires de Gaza-Nord et de l'est de la ville de Gaza. La majorité, déjà déplacées plusieurs fois, n'ont aucun endroit sûr où aller ou ne peuvent pas partir car elles souffrent de malnutrition, sont malades, blessées ou porteuses de handicaps. Ces démolitions ont donc déplacé des milliers de personnes, aggravant une crise du déplacement conçue et orchestrée par Israël.
Mirvat, 46 ans, mère de quatre enfants, dort sur un terre-plein central de la rue Salaheddine à Deir al Balah depuis son septième déplacement. En raison de douleurs chroniques aux jambes, il lui a fallu deux jours pour se rendre à pied de la ville de Gaza vers la zone centrale.
Mirvat a déclaré à Amnesty International : « Ma fille de 25 ans est atteinte d'un cancer et j'ai dû la laisser à Gaza car elle ne peut pas faire le trajet à pied, et tant que nous ne trouvons pas d'abri convenable ici, il lui est impossible de se déplacer. Elle doit se rendre à l'hôpital tous les mois pour se faire soigner, mais c'est impossible depuis fin août, car la route entre l'endroit où elle séjourne à Tal al Hawa et la rue al Nasr est trop dangereuse. Laisser ma fille malade derrière moi est mon pire cauchemar. »
Weam, mère de trois enfants, a dû laisser ses deux enfants de sept et cinq ans chez leur grand-mère dans la ville de Gaza jusqu'à ce qu'elle trouve un abri à Deir al Balah : « Je peux dormir dans la rue, mais mes enfants sont trop jeunes. Imaginez le choix qui s'offre à nous : à Gaza, mes enfants vivent dans une maison dévastée, avec des bombardements incessants ; ici, c'est plus calme, mais je n'ai pas de toit sur la tête. »
« C'est la peur de ces robots explosifs qui nous a poussés à partir »
Les forces israéliennes continuent de déployer des véhicules téléguidés chargés d'explosifs, surnommés « robots » par les habitants, pour effectuer des frappes ciblées dans la ville de Gaza. Selon sept personnes interrogées par Amnesty International, l'avancée de ces véhicules dans leurs quartiers n'a laissé aux familles d'autre choix que de quitter leur domicile, car elles craignaient pour leur vie.
Au regard de cet assaut cataclysmique, il semble qu'Israël soit déterminé à anéantir la ville de Gaza, à faire partir toute sa population, à raser de vastes pans de la ville et à en prendre le contrôle total.
Erika Guevara Rosas, Amnesty InternationalFiryal, mère de six enfants, déplacée de Shujaiya le 3 avril 2025, a trouvé refuge au lycée pour filles d'al Jalil transformé en camp de fortune pour personnes déplacées, à Tal al Hawa, un quartier de Gaza. Elle a expliqué avoir cherché un endroit où loger pendant plus de 10 jours, en vain, soulignant que les écoles transformées en abris ont déjà dépassé leur capacité d'accueil et que la location de terrains privés est devenue excessivement chère.
Elle a raconté avoir entendu toute la nuit le bruit terrifiant des bulldozers : « C'est la peur de ces robots explosifs qui nous a poussés à partir ; nous avions installé notre tente près de la plage, mais ils ont largué des tracts nous ordonnant de repartir. Nous avons donc été déplacés le 17 septembre. Nous n'avions pas les moyens de payer un transport… Nous avions déjà tout dépensé pour acheter des conserves, alors nous avons fait le trajet Gaza - Deir al Balah à pied ; nous sommes partis le matin et arrivés le soir. Nous n'avons trouvé aucun endroit où loger, alors comme vous le voyez, nous dormons dehors, sur ce terre-plein de la rue Salaheddine. Les vêtements des enfants nous servent de couvertures. Notre tente a été réduite en lambeaux lorsque l'immeuble voisin a été bombardé. Nous risquons en permanence d'être écrasés par les camions qui passent par ici. Il n'y a rien pour nous protéger. »
« Nulle part où aller »
Au cours du mois dernier, des centaines de milliers d'habitants de la ville de Gaza ont été déplacés vers le gouvernorat de Deir al Balah, à al Mawasi ou Khan Younès. La plupart de ceux qui sont restés n'ont pas pu partir, faute de moyens pour payer le transport, dans un contexte d'extrême pénurie de carburant. Même s'ils avaient les moyens de payer le transport, leurs ressources déjà limitées ne leur permettraient pas d'acheter une tente, de louer un petit appartement ou un terrain pour planter leur tente.
Raeda, déplacée à quatre reprises depuis avril 2025, d'abord de Shujaiya à al Nafaq, puis à Tal al Hawa dans la ville de Gaza et maintenant à Al Zawayda, près de Deir al Balah, a déclaré :
« Je dors dans la rue, sans tente, depuis 10 jours. Notre famille compte sept personnes, nous dormons tous dehors. Impossible de se reposer, nous n'avons aucune intimité, il n'y a pas de vie ici. Nous n'avons pas pris de douche depuis des jours. »
Shireen, elle aussi déplacée, et sa famille sont restés dans le camp de réfugiés d'al Shati malgré les tracts sur les ordres de déplacement, car ils n'avaient nulle part où aller et tous les sites sollicités dans le sud étaient surchargés. Le 15 septembre, ils ont reçu un appel téléphonique de l'armée israélienne leur ordonnant de partir en citant leurs noms. Shireen a déclaré : « Nous sommes restés malgré les bombardements intenses ; nous ne comptons plus le nombre de fois où nous avons échappé à la mort. Chaque nuit était pire que la précédente, un bâtiment près de chez nous a été bombardé et totalement rasé. Mais, après avoir reçu l'appel de l'armée israélienne, nous sommes partis. Nous avons dit à l'homme au téléphone que nous n'avions nulle part où aller. Alors nous sommes venus ici, à Al Zawayda, et depuis, nous dormons dans la rue. »
Ce déplacement était le huitième depuis le début de la guerre, mais ce fut le plus difficile car, selon ses propres mots : « Au moins avant, nous pouvions emporter une tente, nous avions notre panneau solaire et un peu d'argent ; aujourd'hui, nous n'avons plus rien. Nous avons tout donné pour payer le transport. »
« Alors que la population et les familles sont sous pression de tous côtés, la catastrophe humanitaire s'aggrave de jour en jour. Les déplacements forcés à répétition dans des conditions inhumaines, la destruction systématique des infrastructures vitales et le blocus étouffant s'inscrivent dans la politique délibérée d'Israël visant à entraîner la destruction physique des Palestinien·ne·s à Gaza, a déclaré Erika Guevara Rosas.
« Ils ont depuis longtemps franchi le point de non-retour ; chaque jour coûte des vies et piétine l'humanité. Les États doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international afin de mettre un terme au génocide israélien contre les Palestiniens. Les actes symboliques, comme la reconnaissance de l'État de Palestine, qui s'accompagnent de la livraison d'armes à Israël et du maintien de l'impunité pour les atrocités commises, ne sont pas efficaces. Les États doivent user de leur influence pour obtenir un cessez-le-feu immédiat et contraindre Israël à mettre fin au génocide à Gaza. L'occupation illégale de l'ensemble du territoire palestinien occupé doit prendre fin et le système d'apartheid israélien doit être démantelé sans délai. »
Note : Pour la sécurité des personnes interrogées, Amnesty International n'a pas cité leurs noms de famille.
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