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Les droits des femmes hier et aujourd’hui : « Nous avons le pouvoir de transformer le monde », entretien avec Nyaradzayi Gumbonzvanda

Interview

Les droits des femmes hier et aujourd'hui : « Nous avons le pouvoir de transformer le monde », entretien avec Nyaradzayi Gumbonzvanda

22 janvier 2025

#PourToutesLesFemmesEtLesFilles est un appel à l'action à l'occasion du 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing. Nyaradzayi Gumbonzvanda, du Zimbabwe, Directrice exécutive adjointe d'ONU Femmes, revient sur son expérience lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995 et sur la pertinence que revêtent encore aujourd'hui la Déclaration et le Programme d'action de Beijing.

Page navigation LA DÉCLARATION ET LE PROGRAMME D'ACTION DE BEIJING : UN CHEMINEMENT EN FAVEUR DE L'ÉGALITÉ DES DROITS, DE L'ÉGALITÉ ET DU POUVOIR EN QUOI LA QUATRIÈME CONFÉRENCE MONDIALE SUR LES FEMMES ÉTAIT-ELLE IMPORTANTE ET COMMENT LA DÉCLARATION ET LE PROGRAMME D'ACTION DE BEIJING ONT-ILS CHANGÉ LA CAUSE DES DROITS DES FEMMES ? QUELS ONT ÉTÉ LES PRINCIPAUX ACCOMPLISSEMENTS DE LA DÉCLARATION ET DU PROGRAMME D'ACTION DE BEIJING ET À QUELS OBSTACLES LES DROITS DES FEMMES SONT-ILS ACTUELLEMENT CONFRONTÉS ? QUELLES LEÇONS LES MOUVEMENTS FÉMINISTES D'AUJOURD'HUI PEUVENT-ILS TIRER DE L'ÈRE DE LA CONFÉRENCE DE BEIJING FACE AU RECUL DES DROITS DES FEMMES ?
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La Directrice exécutive adjointe d'ONU Femmes, Nyaradzayi Gumbonzvanda, prenant la parole lors du dialogue de haut niveau Génération Égalité en marge du Sommet pour l'Avenir, organisé par ONU Femmes le 22 septembre 2024. Photo : ONU Femmes/Ryan Brown

La Déclaration et le Programme d'action de Beijing : un cheminement en faveur de l'égalité des droits, de l'égalité et du pouvoir

« Pour beaucoup d'entre nous qui étions présents à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, la Déclaration et le Programme d'action de Beijing s'inscrivaient dans un horizon qui allait durer toute notre vie. Nous savions que pour le reste de notre vie, notre combat serait consacré à la défense de ces valeurs. »

Nyaradzayi Gumbonzvanda n'avait pas encore 30 ans lorsqu'elle se rendit à Beijing, en Chine, pour assister à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995. Elle figurait parmi les plus de 30 000 activistes de la société civile et 17 000 délégué.e.s chargé.e.s de plaider, de délibérer et d'approuver l'accord adopté par 189 pays : la Déclaration et le Programme d'action de Beijing. Il s'agit là du plan en faveur des droits des femmes et des filles, le plus progressiste et le plus largement approuvé à travers le monde.

Nyaradzayi Gumbonzvanda était enthousiaste à l'idée d'assister à la conférence, mais il lui fallut d'abord trouver quelqu'un pour s'occuper de ses deux petites filles.

« À l'époque comme aujourd'hui, les formalités pour organiser un voyage à Beijing étaient de taille, » insiste Nyaradzayi Gumbonzvanda.

« Pour les féministes, c'était et cela reste un voyage pour répondre à leurs attentes profondément ancrées quant au fait que les droits des femmes sont des droits humains et que les femmes et les filles veulent être traitées sur un pied d'égalité. »

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Gertrude Mongella (à gauche, debout sur l'estrade), Secrétaire générale de la Conférence, prend la parole lors de la session du 4 septembre 1995. Photo : Photo ONU/Milton Grant

En quoi la quatrième Conférence mondiale sur les femmes était-elle importante et comment la Déclaration et le Programme d'action de Beijing ont-ils changé la cause des droits des femmes ?

En se remémorant des moments qui l'ont marquée, Nyaradzayi Gumbonzvanda dit : « Je me souviens des femmes du Pacifique, elles avaient toujours des fleurs. J'y ai rencontré des femmes noires qui ne venaient pas d'Afrique et nous nous retrouvions dans une assemblée mondiale de femmes où nous pouvions parler dans notre langue maternelle, pas seulement en anglais. »

« Ce qui m'a le plus marquée, c'était d'appréhender le monde des femmes dans toutes ses diversités et de prendre conscience que nous faisions face aux mêmes problèmes de discrimination, et que notre potentiel et nos expériences n'éclairaient pas les décisions qui étaient prises. J'ai compris que tant par nos efforts individuels que collectifs, nous pouvions faire bouger les choses. Nous avons le pouvoir de transformer ce monde. »

La quatrième Conférence mondiale sur les femmes de 1995 à Beijing était l'aboutissement de nombreuses années d'organisation par des féministes, explique Nyaradzayi Gumbonzvanda. « En 1980, nous nous étions réunies pour la deuxième Conférence mondiale sur la condition de la femme à Copenhague où nous avions plaidé en faveur de la justice sociale et de la position des femmes dans la société. En 1993, nous nous étions réunies pour la Conférence mondiale sur les droits humains à Vienne où les femmes du monde ont déclaré que les droits des femmes sont des droits humains, déclaration ensuite reprise lors de la conférence de Beijing. Nous venions également de nous réunir, en 1994, au Caire pour la Conférence internationale sur la population et le développement pour discuter de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes. Le mouvement environnemental des femmes était lui aussi très fort. »

« Si vous reprenez le libellé du Programme d'action de Beijing, vous constatez qu'il est imprégné de l'éthique de tous ces enjeux. »

Les droits des femmes sont interdépendants

« La Déclaration et le Programme d'action de Beijing incarnaient la notion d'interdépendance des droits : si j'ai le droit à l'éducation, cela signifie que j'ai la capacité de participer à la vie politique. Si j'occupe un poste de prise de décision, je peux avoir de l'influence sur l'économie. Lorsqu'on investit dans des mesures pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes, on constate une hausse de la participation économique des femmes. »

Même si des femmes et des féministes de tous horizons et de toutes les régions du monde ont assisté à la quatrième Conférence mondiale, Nyaradzayi Gumbonzvanda reconnaît que pour certaines d'entre elles, il ne fut pas facile de s'y rendre. La Chine était loin et il fallait obtenir un visa et les fonds nécessaires, sans parler des formalités administratives difficiles à comprendre. La langue était autant un obstacle qu'elle peut l'être aujourd'hui, faute de moyens suffisants pour assurer des services d'interprétation pour toutes les réunions.

L'importance de la représentation

« Le simple fait d'être présent, en soi, est absolument fondamental », explique Nyaradzayi Gumbonzvanda. « La conférence à Beijing fut dirigée par Gertrude Mongella qui était députée de Tanzanie et diplomate de l'ONU. Le fait de voir Mama Gertrude Mongella modérer les séances fut une source d'inspiration pour toutes les femmes présentes. »

« Elle nous montrait qu'il était possible d'assumer un rôle de leadership. Un monde de possibilités se présentait ainsi à nous. »

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À l'occasion de l'ouverture de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, en Chine, Nana Konadu Agyeman Rawlings, Première dame du Ghana, s'adresse à des correspondants lors d'une réunion sur l'éducation, la santé et le développement durable. Photo : Photo ONU/Chen Kai Xing

Quels ont été les principaux accomplissements de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing et à quels obstacles les droits des femmes sont-ils actuellement confrontés ?

« Il a été formidable de voir le nombre d'organisations de femmes créées ou renforcées à l'issue de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing », déclare Nyaradzayi Gumbonzvanda. « La conférence a marqué une impulsion en matière d'organisation et de mobilisation. »

Impulsion pour organiser et financer l'action en faveur des droits des femmes

« Il a été formidable de voir le nombre d'organisations de femmes créées ou renforcées à l'issue de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing », déclare Nyaradzayi Gumbonzvanda. « La conférence a marqué une impulsion en matière d'organisation et de mobilisation. »

« Le pouvoir collectif des femmes est devenu très visible à la conférence de Beijing », ajoute-t-elle. « Et de celui-ci est née une profonde conviction selon laquelle le mouvement des femmes doit trouver des moyens créatifs de s'autofinancer et de financer la cause féministe. »

« Aujourd'hui, les tâches administratives sont beaucoup plus lourdes, ce qui limite la participation des femmes. »

« Partout, l'obligation de rendre compte est très importante, mais il faut aussi laisser de la place à l'auto-organisation », explique-t-elle. « Certaines organisations communautaires de premier plan continuent de faire leur travail, mais peuvent manquer de fonds, en raison de la complexité, de la lourdeur et des moyens technologiques requis pour atteindre les seuils d'accès à des financements. »

Selon le rapport du Secrétaire général de l'ONU, moins d'1 % de l'aide publique au développement est consacré à des organisations de défense de l'égalité des sexes.

Élan pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes et le rôle des femmes dans la paix

La question de la violence à l'égard des femmes a été mise en avant lors de la conférence. « L'année suivante, en 1996, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution appelant à la création du Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes », précise Nyaradzayi Gumbonzvanda.

Géré par ONU Femmes, le Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies a accordé 225 millions de dollars à 670 initiatives pour lutter contre la violence à l'égard des femmes et des filles dans différentes régions du monde. La Déclaration et le Programme d'action de Beijing ont également contribué à une hausse significative du nombre de lois destinées à lutter contre la violence domestique, à renforcer les services fournis aux survivantes et à améliorer la collecte de données sur la violence à l'égard des femmes.

S'agissant de l'impact du Programme d'action de Beijing sur les femmes touchées par les conflits, Nyaradzayi Gumbonzvanda estime que : « Cette cause vivement défendue lors de la conférence s'est inscrite dans le temps long grâce à des actions de plaidoyer. En 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité (résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies), et depuis, nous commençons à voir davantage de femmes participer aux processus de paix et aux médiations. »

Les droits des femmes et l'économie

Lorsqu'on lui demande quel domaine nécessite davantage d'impulsion, Nyaradzayi Gumbonzvanda cite celui de l'économie. « Nous devons changer le discours autour des femmes et de l'économie. Tout d'abord, nous devons préciser que le PIB d'un pays ne se traduit pas par l'égalité des chances pour toutes les femmes de ce pays, et ne signifie pas que les femmes vivent une vie sans violence dans ce pays. »

« Lorsque le PIB de pays à revenu faible et intermédiaire augmente, l'aide publique au développement diminue. Nous devons nous doter d'un modèle de développement international qui soutienne et pérennise les avancées sur l'égalité des sexes dans les pays à revenu faible et intermédiaire. »

La dette est un autre grand problème qu'il faut traiter, d'après Nyaradzayi Gumbonzvanda. « Les pays continuent d'emprunter à des taux d'intérêt très élevés, et ce alors qu'ils n'ont pas fini de rembourser leurs emprunts précédents ». Cela se répercute sur leurs investissements et par conséquent sur les progrès réalisés en matière de droits des femmes, explique-t-elle.

Quelles leçons les mouvements féministes d'aujourd'hui peuvent-ils tirer de l'ère de la Conférence de Beijing face au recul des droits des femmes ?

« La marge de manœuvre [pour les femmes] a toujours été restreinte », explique Nyaradzayi Gumbonzvanda.

« Je suis née pendant la colonisation mon pays. Pour certaines personnes, cette marge de manœuvre n'a jamais pleinement existé, ni à l'époque, ni maintenant. Le patriarcat a toujours été de mise et il a limité la marge de manœuvre laissée aux femmes. »

« Jusqu'à encore récemment, dans de nombreux pays, les femmes n'avaient pas le droit de voter, d'ouvrir un compte bancaire ni de posséder de terres. Dans un contexte de migration, la marge de manœuvre quant aux règles relatives à la liberté de circulation se réduit comme peau de chagrin. »

« La marge de manœuvre dont nous disposons aujourd'hui a été gagnée à l'issue d'âpres combats. Nous ne pouvons pas la tenir pour acquise. »

Nyaradzayi Gumbonzvanda insiste également sur le fait que le recul des droits des femmes se produit dans un contexte d'insécurité mondiale.

« Le Programme d'action de Beijing s'intéresse fondamentalement au vécu », dit-elle. « Il ne cherche pas à savoir à qui revient le dernier mot lors de négociations politiques. Il s'intéresse au vécu de toute personne en ce moment même, qu'elle fasse actuellement l'objet de discrimination, que ses droits soient bafoués ou ses chances limitées. Nous ne devons pas perdre de vue que dans tous les cas, il s'agit de personnes. »

Nyaradzayi Gumbonzvanda adhère à ce principe dans ses conversations avec les États alors qu'ils font le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre du Programme d'action de Beijing, 30 ans plus tard. « Lorsque les États membres négocient, tout ce que je veux, c'est arriver à la bonne décision pour protéger le bien-être des personnes, pour les aider à vivre dans la dignité », dit-elle.

« Le monde d'aujourd'hui a soif de dignité et d'empathie, d'inclusion et de non-discrimination. Comment faire pour répondre à ces besoins ? »

« Comme nous l'avons fait à Beijing, nous devons énoncer clairement ce que nous entendons par là. Lorsqu'il y a discrimination, nous devons nommer les formes de discrimination, car nommer, c'est savoir, et en nommant, nous comprenons où se situent les problèmes et, par conséquent, où se trouvent les solutions. »