 Ministry of Europe and Foreign Affairs of the French Republic
Ministry of Europe and Foreign Affairs of the French Republic
10/29/2025 | Press release | Archived content
Q - Monsieur le Ministre, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Merci de cet entretien, il se tient dans le cadre particulier du Forum de Paris sur la paix, circonstance exceptionnelle pour la sécurité du continent. Ce Forum s'est créé dans le souvenir de 1918, de l'armistice, alors qu'on espérait que ce serait la fameuse dernière des guerres, on connaît la suite. Comment est-ce que ça résonne pour vous avec ce qu'on a sous les yeux ?
R - Je trouve qu'il a vraiment toute sa place, puisqu'encore plus peut-être qu'il y a huit ans, quand le président de la République a voulu créer cet espace où le monde entier se retrouve pour élaborer des solutions, les espaces traditionnels de la diplomatie sont mal en point. Le multilatéralisme, comme on le dit, va mal. Les Nations unies sont fragilisées. Il faut donc créer de nouveaux moments, de nouveaux espaces où se rencontrent les diplomates avec les acteurs de la société civile, les entreprises, les associations, les organisations non gouvernementales pour répondre ensemble, à partir de coalitions, à certains des grands enjeux de notre époque et à partir de ces coalitions ensuite, élargir progressivement le cercle. C'est ce que ce forum a réussi à faire ces dernières années sur les enjeux climatiques par exemple avec ce Pacte pour la prospérité, les peuples et la planète, que la France a porté, qui est né au Forum de Paris sur la paix et qui a vocation à engager les pays du Nord, les pays du Sud, à se serrer les coudes face à ces enjeux majeurs. Ça a été le cas aussi pour la lutte contre la violence en ligne, puisque de ce forum est parti il y a quelques années l'appel de Christchurch, qui a mobilisé les pays du monde pour, en quelque sorte, durcir un peu le ton face aux grandes plateformes qui laissaient prospérer en leur sein toutes les violences et la haine, ce qui était inacceptable.
Q - Le chef d'état-major des armées a marqué les esprits ces derniers jours en parlant de ce choc avec la Russie auquel il faut se préparer d'ici trois ou quatre ans. Il l'analyse comme homme de guerre. Comment est-ce que vous le regardez, vous, comme chef de la diplomatie ?
R - Ce qui est clair, c'est que le niveau de la menace augmente. On l'a vu avec Vladimir Poutine qui réarme la Russie en consacrant une part très importante de son budget et même de sa richesse nationale à son effort militaire, qui a décidé il y a quelques mois d'une conscription militaire la plus importante depuis 14 ans et qui clairement souhaite en découdre mais ça ne s'arrête pas là puisque on le voit ailleurs, les réseaux du terrorisme se reconstituent du Sahel jusqu'à l'Asie mineure mais on voit aussi l'architecture qui nous a protégés contre la prolifération nucléaire, qui elle-même est fragilisée. Et face à cette augmentation de la menace, des questions se posent sur ce qu'on appelle notre architecture de sécurité, et en particulier l'OTAN, cette solidarité entre les pays de l'Europe et de l'Amérique du Nord, qui nous a permis, sur la base d'un principe simple, un pour tous et tous pour un, d'écarter, de dissuader toutes les menaces depuis 76 ans maintenant. Et donc face à ça, c'est-à-dire une augmentation de la menace et une fragilisation en quelque sorte de nos protections collectives, eh bien, il est clair qu'on ne pouvait pas rester les bras ballants. Et c'est pour ça que l'on a agi.
Q - Comment est-ce que vous expliquez l'attitude de Poutine maintenant, pas seulement depuis des mois, mais là, ces derniers jours, Trump lui impose des sanctions très dures. Il touche vraiment au cœur de la machine économique russe avec le pétrole. Et malgré ça, non seulement Poutine ne baisse pas de ton, au contraire, il en rajoute encore, que ce soit en termes conventionnels ou dans les mots. Pourquoi ?
R - Il faut être lucide. Vladimir Poutine est en échec militairement, économiquement et politiquement. En échec militairement d'abord. Parce que depuis mille jours, il n'a réussi à conquérir que 1% du territoire de l'Ukraine, en échec économique, puisque l'économie russe s'effondre sous le triple coup de l'effort de guerre que lui impose Vladimir Poutine, des sanctions auxquelles Vladimir Poutine expose son propre peuple et puis des frappes ukrainiennes qui désormais touchent les infrastructures civiles russes.
Q - Ça veut dire que c'est une fuite en avant pour vous ?
R - C'est une manière de masquer cet échec. Comment ? D'abord en pilonnant les villes de l'arrière. Vous savez, chaque nuit ou chaque matin, on se réveille avec les nouvelles en provenance de l'Ukraine, des zones résidentielles ciblées par des missiles et des drones, et des civils tués. Et puis, de temps à autre, ce sont des incursions dans l'espace aérien des pays baltes, de la Pologne ou d'autres, tout simplement pour masquer cet échec et tenter d'intimider les Européens ou de faire baisser ou d'affaiblir le niveau de leur soutien.
Q - Est-ce que c'est ça ou est-ce que ça peut être davantage, pour vous, est-ce que la possibilité existe de l'aventure ? C'est-à-dire non pas qu'il veuille seulement, comme vous dites, masquer un échec ou tenter des provocations, mais davantage que ça, qu'il ait en vue l'aventure, c'est-à-dire attaquer l'OTAN. Est-ce que cette hypothèse existe ?
R - Je crois que l'objectif principal est d'intimider, de décourager les Européens dans un moment où, en réalité, c'est l'inverse qui se produit. Les Européens ont décidé, dans le cadre de l'OTAN, de relever leur niveau de dépense militaire, ce que nous avions déjà décidé puisque le président de la République et les gouvernements successifs ont acté le doublement de nos dépenses militaires. L'Union européenne, quant à elle, a décidé dans son prochain budget de consacrer jusqu'à 125 milliards d'euros au développement d'une base industrielle et technologique de défense. Donc ce qui est en train de se passer, c'est que la Russie de Vladimir Poutine ayant décidé de se réarmer, les Européens se réarment également, non pas dans une logique d'agressivité, mais pour dissuader toute forme de menace, et que Poutine, pendant cette période-là, tente de les en décourager.
Q - Mais Monsieur le Ministre, ça, vous soulignez du côté européen le verre à demi plein, le côté à demi vide, est-ce que c'est une forme de fébrilité ? Est-ce qu'il y a une forme de fébrilité de l'Europe qui dit tout à coup, ça peut arriver plus vite qu'on ne le pensait ? Quand le chef d'état-major dit dans trois ans, dans quatre ans, même pendant la Guerre froide, on ne disait pas ça, on disait on est prêt.
R - Aucune fébrilité, un réveil. Je vais vous dire, nous sommes ici au Quai d'Orsay. C'est dans ce bâtiment, à l'étage du dessous de celui dans lequel nous nous trouvons en ce moment, qu'a été initiée la construction européenne, un an après la signature du traité de l'OTAN. C'est-à-dire qu'il y a 75-76 ans, nous nous sommes dotés de systèmes de solidarité parce que nous avons considéré qu'unis, nous étions plus forts et que nous allions dissuader les menaces. Tout ça nous a garanti huit décennies de paix. Il se trouve que le mur de Berlin est tombé et que quelques décennies plus tard, Vladimir Poutine a décidé de se lancer dans une course impériale, quasi coloniale, pour reconstituer en quelque sorte l'URSS mais nous n'allons pas le laisser faire et nous sommes infiniment plus riches et plus forts que la Russie de Vladimir Poutine et il le sait, alors il tente de nous décourager pas uniquement par des incursions, pas uniquement par son attitude en Ukraine mais également en ayant installé une forme de conflictualité permanente dans de très nombreux champs, des champs que chacun connaît ici la désinformation, les sabotages, les assassinats mais ne nous laissons pas intimider.
Q - Mais pardon, vous dites pas de fébrilité. Tout de même, moi j'ai été très frappé sur nos plateaux, des généraux, des généraux sérieux, Général Richoux par exemple, qui disait « on n'est pas prêt maintenant à une guerre de haute intensité. » Il disait « on n'est pas prêt maintenant. » Et ça paraît, on ne peut pas d'ailleurs le reprocher au président de la République ou à votre gouvernement, puisque depuis 2017, les budgets ont augmenté, ça c'est un fait. Mais enfin, la génération en général, notre génération, est-ce qu'il y a une forme d'irresponsabilité ? De découvrir maintenant qu'effectivement, on n'est pas prêt.
R - Il y a eu un réveil français, vous venez de le dire, et nous assistons désormais à un réveil européen. Et lorsque nos partenaires, nos partenaires les plus proches, consentent eux aussi, à leur tour, à un effort de relèvement de leurs dépenses militaires, ça contribue, ça concourt à notre sécurité collective.
Q - Mais pardon, c'est quand même très grave. La sécurité extérieure et intérieure, c'est la base de la base d'un État. C'est ce qu'on doit aux concitoyennes et concitoyens. Donc, se dire « on n'est pas prêt maintenant, il faut qu'on se prépare à l'être dans quatre ans », c'est grave.
R - Non, c'est une évolution du monde que nous avons détectée, décelée peut-être un peu plus rapidement que certains de nos partenaires. Et cette évolution du monde, c'est celle que j'ai décrite, c'est-à-dire un dirigeant russe qui se met à rêver d'une reconstitution de l'URSS et puis des États-Unis d'Amérique, alliés majeurs de l'OTAN, qui ont progressivement décidé de réorienter leurs efforts, et notamment en matière de défense, vers le Pacifique.
Q - Jusqu'où veut-il aller d'après vous ? Le président de la République était notre invité il y a quelques semaines, il avait ce geste en disant il est comme l'ogre qui veut toujours davantage manger mais manger jusqu'où ?
R - Je crois qu'il a été très clair dans ses expressions, la vision qu'il se fait de la Russie ne connaît pas de frontières. C'est bien notre problème majeur puisqu'il n'a échappé à personne qu'au moment où l'Union soviétique s'est effondrée, certaines de ces républiques qui vivaient sous le joug de l'URSS depuis des décennies ont fait un choix, un choix résolu, qui est celui de l'Union européenne. Et je dirais même plus, c'est-à-dire que certaines de ces républiques soviétiques qui ne sont pas encore, d'ex-républiques soviétiques qui ne sont pas encore dans l'Union européenne, font, elles aussi le choix de l'Union européenne. Et ça dit quelque chose d'ailleurs de cette Union européenne qui est parfois critiquée pour des raisons légitimes, sa lenteur, sa complexité, son caractère technocratique…
Q - Les gens veulent entrer…
R - Je suis bien obligé de constater qu'il y a des pays de l'Europe orientale qui font le choix de se tourner vers l'Europe parce que l'Europe, c'est la liberté et c'est la démocratie.
Q - Jean-Noël Barrot, ce soir, Vladimir Poutine insiste sur son dispositif nucléaire. Ce qui marche, ce qui marche peut-être, ce qui a été démontré, d'autres choses qui ne le sont pas, mais enfin… Il arrive à impressionner parce que visiblement, il n'y a pas eu de no-fly zone, on voit que les Occidentaux n'ont pas dépassé un certain cap. Il insiste sur le Sarmat, sur le Poséidon. Il y a de fait une escalade. Est-ce qu'il y a un danger pour vous de prolifération ?
R - La seule escalade, c'est celle de la Russie, mais vous avez raison de parler de prolifération. Parce qu'en réalité, il faut se souvenir, puisque nous célébrons ces jours-ci le 80e anniversaire des Nations unies, autre élément majeur, pilier majeur de ce qu'on appelle l'architecture de sécurité internationale.
Q - Il n'en reste pas grand-chose.
R - Non mais qui était fondée sur un principe simple, je ne touche pas à tes frontières, tu ne touches pas aux miennes. Principe qui n'a pas évité tous les conflits, mais qui en a évité beaucoup, parce qu'il a rendu illégal le fait d'envahir son voisin. Qui étaient les principaux garants de ce principe et des Nations unies ? Eh bien, ce sont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, l'instance suprême des Nations unies, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, la France et la Russie. Ce sont cinq pays qui non seulement ont des responsabilités éminentes vis-à-vis de la sécurité et de la liberté du monde mais ce sont aussi cinq nations qui sont les seules à avoir le droit d'être dotées de l'arme nucléaire, mais avec le droit vient une responsabilité particulière, celle de ne jamais employer l'arme nucléaire dans une rhétorique d'escalade ou d'intimidation. Malheureusement, je dirais que la Russie de Vladimir Poutine, ces dernières années, a failli à tous ses devoirs. Parce qu'elle a, en quelque sorte, détourné cette responsabilité que lui ont confié les nations du monde, il y a 80 ans, au profit d'une aventure coloniale et impérialiste.
Q - Les États-Unis sont là, par bien des côtés, on le voit avec les sanctions, ils sont actifs contre l'influence russe, mais enfin, ils vont réduire leurs dispositifs militaires en Roumanie. Est-ce que la France peut prendre la relève ?
R - D'abord, ne diminuons pas l'importance des décisions qui ont été prises par les États-Unis, que nous attendions depuis un certain temps, les Ukrainiens aussi, et que nous avons contribué, je dirais, à encourager. Il est remarquable de constater que les sanctions européennes et les sanctions américaines la semaine dernière ont été prises quasiment la même heure.
Q - Là, vous dites bravo Trump ?
R - Je dis bravo les Européens.
Q - Oui, mais enfin vous aussi…
R - Et je dis que…
Q - Il revient de loin, rappelez-vous pardon. On disait sur certains plateaux de télévision, c'est un agent russe, etc.
R - Oui, mais vous croyez que c'est tombé du ciel, Darius Rochemin ? Non, c'est le fruit d'une diplomatie très active, une diplomatie qui s'est adressée aux autorités américaines, mais également aux parlementaires américains que nous avons accueillis ici à Paris, à l'Élysée, comme au Quai d'Orsay, pour les encourager, puisque l'opinion publique américaine soutient l'Ukraine. Les parlementaires américains soutiennent l'Ukraine. Ils ont même proposé eux-mêmes un paquet de sanctions qui avait été signé par 82 sénateurs sur 100. Donc démocrates comme républicains étaient en faveur de cela. Il fallait que le président des États-Unis appuie sur le bouton et il l'a fait au moment où les Européens avaient eux-mêmes décidé de sanctionner les principales entreprises pétrolières russes, ce qui va porter un coup très dur à l'effort de guerre de Vladimir Poutine.
Q - Aujourd'hui, vous insistez sur les influences, les tentatives de désinformation de la Russie. Il y a un passé, on se rappelle qu'au temps de l'Union soviétique, il y avait un parti stalinien à Paris qui pesait des fois jusqu'à 30%, il y avait des réseaux d'argent, etc. D'une certaine façon, c'était encore pire. Mais aujourd'hui, qu'est-ce qui se passe d'après vous ?
R - Ce qu'il se passe, c'est que nous vivons dans un monde où le débat public a été délocalisé, nous l'avons laissé être délocalisé sur des grandes plateformes de réseaux sociaux dont les règles sont fixées par des milliardaires américains ou chinois, qui nous conduisent à nous enfermer dans des bulles, mais qui conduisent aussi à une fragmentation. Alors qu'avant, la place publique, tout le monde s'y retrouvait. Désormais, l'espace public est fragmenté sur Internet. Et nos adversaires, voire même parfois nos ennemis, s'infiltrent dans notre espace public pour diffuser de la désinformation.
Q - Et la France est particulièrement visée ?
R - Bien sûr, la France est particulièrement ciblée, notamment depuis le début de la guerre d'invasion russe en Ukraine puisque la France a, en quelque sorte, elle présidait l'Union européenne à l'époque, a marqué dès le départ un soutien très résolu et très marqué à l'Ukraine. Alors comment ça se manifeste ? Eh bien, ça se manifeste puisqu'a lieu aujourd'hui le procès des responsables des mains rouges dont on peut suspecter qu'ils ont été, je dirais, diligentés, commandités par la Russie. Mais ce sont de très nombreuses opérations, qui sont volontaires, qui sont coordonnées, pour diffuser des informations manifestement inauthentiques aux fins de polariser le débat public mais aussi et plus simplement et de manière plus grave, je le dirais, de fragiliser la démocratie. Nous avons réussi, peut-être parce que nous avions pris là aussi un petit peu plus d'avance que nos partenaires européens, à protéger nos scrutins électoraux qui ont été ciblés par des manœuvres de désinformation. Mais vous avez vu ce qu'il s'est passé en Roumanie où des élections ont été tellement manipulées qu'elles ont dû être annulées. Et on voit que nos processus démocratiques sont directement ciblés. C'est évidemment extrêmement grave.
Q - Est-ce que le temps reviendra ? Vous avez la main, disons, la main forte. Est-ce que l'autre main est toujours active, celle, un jour, de la négociation ? Il y a eu une tradition, Chirac a été très proche de Poutine à une époque où déjà il y avait eu la Tchétchénie, donc il y a toujours eu aussi la main diplomatique. À quelles conditions, pour vous, il faudra reparler avec la Russie ?
R - Je crois qu'il est essentiel qu'on arrive à un cessez-le-feu avant que des discussions puissent s'engager et ces discussions seront nécessaires puisqu'on l'a dit depuis le départ, c'est d'ailleurs à Paris qu'on a pour la première fois mis autour de la table les Ukrainiens, les Américains et les Européens. La guerre en Ukraine, elle engage la sécurité de l'Europe, de l'Union européenne.
Q - Vous l'espérez ça, ce moment-là ? Vous l'espérez ?
R - Je souhaite que cette discussion puisse s'engager pour que nous puissions défendre notre sécurité, la sécurité de l'Union européenne. Et puis, au-delà, Darius Rochemin, nous avons dit, nous allons faire augmenter nos dépenses à 3,5% de notre richesse nationale d'ici 2035. Mais vous imaginez bien que quand on va arriver en 2035 et qu'on se retrouvera peut-être dans d'autres capacités, ça ne sera pas pour se dire, tiens, on est arrivé à 3,5%, on va passer à 7%. L'objectif pour les Européens aujourd'hui, c'est de rétablir la dissuasion, c'est-à-dire rétablir le bon niveau de défense pour écarter les menaces. Mais une fois que nous y serons, si je puis dire, il nous faudra à nouveau, comme l'ont fait nos prédécesseurs, inventer de nouveaux mécanismes de solidarité pour tout simplement écarter par la diplomatie le risque de la guerre plutôt que d'avoir à réinvestir.
Q - C'est la version Trump, la paix par la force.
R - Non, c'est la version de Robert Schuman, des fondateurs de l'Union européenne, non mais, pardon, des fondateurs de l'Union européenne qui ont dit, si on continue comme ça, on était cinq ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et qui ont dit, si ça continue comme ça, on est reparti pour une quatrième guerre avec l'Allemagne.
Q - Avant ce cap-là, Budapest, alors c'est resté pour l'instant en l'air, on ne sait pas si ça aura lieu ou non, si Trump et Poutine peuvent quand même revenir à une forme de dialogue après ces tensions-là, mais pour vous, quelle est la condition pour que vous souteniez vraiment cette démarche-là ? Il y aura Trump, Poutine, qui d'autre d'après vous ?
R - Ce que j'ai dit, moi, spontanément, lorsque la nouvelle est sortie, qu'une rencontre pourrait avoir lieu à Budapest avant que cette hypothèse ne soit écartée, c'est qu'à mon sens, elle n'avait de sens que si Vladimir Poutine venait y annoncer enfin le cessez-le-feu auquel l'Ukraine a consenti depuis le mois de mars. Si les États-Unis et la Russie doivent avoir un dialogue bilatéral, ça leur appartient. S'il s'agit de parler de l'avenir de l'Europe et de sa sécurité, alors il est inconcevable que ça puisse se faire en l'absence des Européens.
Q - Donc vous espérez quoi ? Que le président de la République y soit ?
R - Je souhaite que si toutefois une discussion à venir entre les présidents américain, russe, devait avoir lieu, qui traite des questions de l'Ukraine et de l'Europe, alors que le président ukrainien et que les Européens, le président de la République, puissent y être représentés effectivement.
Q - Les priorités de votre ministère, elles sont en train d'être réévaluées. Vous allez organiser avec votre homologue de l'intérieur, Laurent Nuñez, un conseil stratégique sur les migrations. Parlons notamment de l'Algérie, puisque dans cette même émission, M. Nuñez disait que la communication est coupée sur un dossier très important qui est la lutte contre les islamistes, où l'Algérie aidait en termes d'informations et ce flux est coupé. Est-ce que vous tendez la main à l'Algérie pour le rétablir ?
R - Ce qui est clair, c'est que la période récente a été marquée par des tensions graves liées à la détention sans aucun fondement de nos deux compatriotes, Boualem Sansal et Christophe Gleizes, par les expulsions brutales de nos agents en poste en Algérie et puis par l'arrêt de la coopération migratoire pour la reconduction des Algériens en situation irrégulière et la coopération sécuritaire qui est importante pour lutter contre la résurgence du terrorisme islamiste qui se reconstitue, je le disais tout à l'heure, au Sahel, c'est-à-dire au sud de l'Algérie. Et donc, nous avons constaté que la relation était gelée, nous avons marqué notre disponibilité à avoir un dialogue exigeant en ayant bien à l'esprit…
Q - Aujourd'hui vous tendez la main, vous pourriez appeler votre homologue ?
R - Pour un dialogue, il faut être deux et pour l'instant nous n'avons pas eu de répondant…
Q - Il faut qu'il y en ait un qui appelle l'autre à un moment donné…
R - Nous avons marqué à de nombreuses reprises notre disposition à un dialogue exigeant sur les sujets que je viens d'évoquer qui touchent à l'intérêt de la France et des Français. Mais il faut bien comprendre que certains de nos intérêts se jouent dans le dialogue avec les pays de l'Afrique du Nord et en particulier avec l'Algérie. Vous avez parlé, le ministre de l'intérieur l'a fait aussi, de la lutte antiterroriste. Elle se construit par le dialogue entre les services de renseignement.
Q - Mais Jean-Noël Barrot, disons les choses, tout le monde voit bien ce qu'il se passe, parfois ce sont aussi des questions d'hommes, de personnes. Bruno Retailleau incarnait, à tort ou à raison, chacun est juge, une certaine ligne à l'égard de l'Algérie, cette ligne a un peu changé avec Laurent Nuñez. Est-ce que pour vous, on est dans un moment où il peut y avoir un réchauffement avec l'Algérie ?
R - Je crois que c'est aux autorités algériennes qu'il faut poser la question.
Q - Et ça a changé un peu à Paris aussi, franchement ? Le ton a changé ?
R - Je crois que, vous savez, nos intérêts restent les mêmes, la libération de nos compatriotes, la reprise d'une coopération exigeante sur le plan migratoire, avec la reconduction des Algériens en situation irrégulière, et puis la coopération en matière sécuritaire, et puis, sans doute, les questions diplomatiques et consulaires, puisque nous avons, je dirais, subi des décisions très abruptes de la part des autorités algériennes auxquelles nous avons répondu avec beaucoup de fermeté et de réciprocité.
Q - Le dialogue avec Donald Trump, alors il y a un historique, d'ailleurs, vous allez voyager, enfin le président de la République va voyager pour la COP, il y a eu ce dialogue parfois de tension mais de respect entre Emmanuel Macron et Donald Trump. L'action de Trump contre les narcotrafiquants, c'est une des autres de vos priorités ? Ce qui se passe au Venezuela d'abord, est-ce que c'est une bonne chose que Trump agisse aussi durement, notamment il bombarde les narcotrafiquants ?
R - J'ai suivi les opérations américaines, les 13 frappes qui ont fait plusieurs dizaines de morts avec vive préoccupation. Vive préoccupation parce que, ce faisant, les États-Unis se sont affranchis des règles du droit international, du droit de la mer, dans une région du monde où la France est présente, avec ses Outre-mer, dans les Antilles notamment, où vivent un million de nos compatriotes.
Q - Ils sortent du droit, là, d'après vous ?
R - Ils s'affranchissent du droit international et du droit de la mer. Mais préoccupation également sur le développement considérable du narcotrafic et de la criminalité organisée qui touchent en premier lieu nos Outre-mer, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, qui sont vraiment dans la région…
Q - Ce n'est pas un modèle pour vous ? On voyait déjà Obama, en Europe, on fait beaucoup plus appel à la justice, aux procureurs, etc. Obama tapait sur les djihadistes de façon très abondante avec les drones. Trump bombarde les narcotrafiquants sans état d'âme. Pour vous, c'est une pratique qui peut arriver en Europe ou jamais ?
R - Non mais attendez, si vous voulez voir des opérations conduites par les forces armées françaises, regardez ce qu'il s'est passé récemment avec un navire russe de la flotte fantôme qui a été arraisonné par nos forces, regardez ce qu'il s'est passé récemment au large de Madère où c'est un bâtiment français qui a arraisonné un navire qui transportait des stupéfiants. Donc nous savons employer des moyens lorsqu'ils sont nécessaires, dans le respect du droit international. Et pourquoi ? Pas parce qu'on est procédurier, mais simplement parce que le droit international, c'est ce qui évite que s'engagent des escalades dont on ne sait pas très bien jusqu'où elles peuvent aller.
Q - Est-ce que vous êtes inquiet de la tentation américaine potentielle de renverser le régime au Venezuela ? Ils ont un historique, depuis Allende jusqu'à Saddam Hussein, ils ont renversé des régimes, là, on sent qu'ils sont tentés.
R - Je vous ai dit nos préoccupations. Je ne veux pas commenter ce que sont les intentions supposées ou réelles de l'administration américaine. Pour notre part, nous considérons comme l'un des principes fondateurs de l'ordre international l'autodétermination des peuples.
Q - On ne renverse pas les régimes en général, même quand ils ne sont pas sympathiques…
R - C'est au peuple de décider de leur propre dirigeant. Ceci étant dit, nous n'avons pas reconnu l'élection de M. Maduro.
Q - Oui. Monsieur le Ministre, la France a joué un rôle pionnier dans la reconnaissance de l'État palestinien. Elle est évidemment le seul, vous citiez tout à l'heure les cinq membres permanents du Conseil de sécurité parmi les trois grandes puissances occidentales, c'est celle qui a donné le mouvement. Aujourd'hui, vous allez plus loin et je crois que vous pouvez l'annoncer ce soir en termes de missions à Gaza. Sous quelle forme ?
R - J'irai même un peu plus loin que vous. Je ne l'entends pas beaucoup dans la bouche des observateurs français, mais chaque fois que je me déplace à l'étranger, c'est ce que l'on me dit. L'initiative que la France a portée avec l'Arabie saoudite, dans le cadre de laquelle la France a reconnu l'État de Palestine, a ouvert la voie au plan de paix que les États-Unis d'Amérique ont présenté le 29 septembre dernier. Un plan de paix dont nous voulons qu'il soit une réussite et auquel nous voulons contribuer. Nous y contribuons de différentes manières. Nous coorganiserons avec l'Égypte, les États-Unis, une conférence sur la reconstruction de Gaza dans quelques semaines. Nous travaillons en ce moment même à New York, aux Nations unies, avec les équipes américaines pour que le mandat soit donné à une force internationale de stabilisation qui va permettre de sécuriser Gaza. Et puis enfin, nous avons dépêché des personnels militaires et civils français dans l'équipe que les États-Unis ont déployée en Israël pour mettre en œuvre sur le terrain les différents points du plan de paix.
Q - Donc vous allez envoyer des militaires et des civils à Gaza, c'est bien ça ?
R - Au centre civilo-militaire que les États-Unis ont créé pour mettre en œuvre le plan de paix qui se situe en Israël, entre Jérusalem et Tel Aviv.
Q - Tous ces sujets sont évidemment extrêmement sensibles. Un point qu'il est important d'éclaircir, parce que ça suscite toujours beaucoup de suppositions, c'est chaque fois que Benjamin Netanyahou, qui est sous le coup du mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale survole ou non l'Europe. La France, vous savez que tous les amateurs de flight radar suivent son avion et se demandent si oui ou non la France accepte qu'il survole le territoire français. Qu'est-ce qu'il en est ?
R - Nous répondons à toutes les sollicitations de la Cour pénale internationale. J'irai même plus loin. Vous le savez, certains juges, dont un juge français de la Cour pénale internationale, ont fait l'objet de sanctions américaines que nous avons dénoncées. Et nous travaillons activement avec la Cour pénale internationale pour lui donner les moyens de continuer à travailler en dépit des sanctions. Parce que je le dis pour les téléspectateurs qui nous regardent, quand les États-Unis sanctionnent cette Cour pénale à laquelle nous sommes attachés, eh bien, les juges qui sont concernés perdent l'accès à leur carte bleue, à leur boîte mail et sont presque dans l'incapacité de travailler. Nous voulons que la Cour puisse travailler en toute indépendance conformément au statut de Rome auquel nous sommes particulièrement attachés. Et lorsque nous avons des réquisitions de la Cour pénale internationale, eh bien, évidemment la France s'y conforme.
Q - Alors ça j'ai compris, mais est-ce que oui ou non, Benjamin Netanyahou peut survoler avec son avion, peut entrer dans l'espace aérien français ?
R - Je ne crois pas que la question soit posée, qu'il n'y a pas de voyage particulier, mais surtout je ne vois pas…
Q - La question s'est posée quand même, quand il est allé aux États-Unis, la question s'est posée…
R - Je ne vois pas le rapport entre votre question et la Cour pénale internationale.
Q - Il est sous le coup d'un mandat.
R - Et alors ?
Q - Donc dans ce cas-là, en principe, pour vous, ça ne pose pas de problème ?
R - Ce n'est pas pour moi, c'est qu'il n'y a pas de rapport entre le mandat et le survol que l'avion de telle ou telle personne sous mandat d'arrêt va faire et la réaction des pays qui sont survolés.
Q - Pardon, on ne va pas faire Noël là-dessus, mais qu'on comprenne bien, ça veut dire qu'il peut survoler de fait l'espace, il peut rentrer dans l'espace aérien français, il peut traverser le ciel français pour aller aux États-Unis, ça n'est pas un problème pour la France.
R - Ça n'est pas un problème vis-à-vis du droit international, pas un problème vis-à-vis de la Cour pénale internationale, ça n'a même rien à voir avec la Cour pénale internationale.
Q - Monsieur le Ministre, la lutte, ce jeudi, c'est le sommet sur les Grands Lacs, l'Afrique est une terre où la Russie est active, où l'islamisme représente un très grand danger, le djihadisme, ce sera bientôt la commémoration des attentats du Bataclan. Est-ce que la France est en mesure de dire à l'influence djihadiste, Dieu sait s'il y a eu des morts français pour se battre contre elle, vous n'irez pas plus loin ?
R - Je vous réponds là-dessus, mais avant cela, pourquoi est-ce que nous accueillons une conférence sur les Grands Lacs ? Les Grands Lacs, c'est cette région au cœur de l'Afrique, entre la République démocratique du Congo, le Rwanda notamment. C'est là où se déroule la deuxième crise humanitaire la plus grave du monde, avec 27 millions de personnes en insécurité alimentaire, sept millions de personnes déplacées, cinq millions de personnes en crise aiguë, un viol toutes les quatre minutes et le risque sanitaire majeur d'une résurgence d'épidémies comme Ebola ou même comme le sida, étant donné la situation dans la région. Donc notre objectif c'est de mobiliser la communauté internationale pour apporter une réponse humanitaire à cette crise mais aussi de rassembler les acteurs de la région, les pays de la région et les acteurs du conflit pour qu'un cessez-le-feu puisse être obtenu le plus rapidement possible. Vous savez qu'il y a eu des médiations au Qatar et puis aux États-Unis, mais nous voulons que ça avance parce qu'on ne peut pas se satisfaire d'une crise qui dégénère et qui pourrait avoir des conséquences dans toute la région et bien au-delà.
Ensuite, sur le djihadisme en Afrique. On l'a évoqué deux fois déjà dans cet entretien et c'est légitime, parce que c'est une problématique majeure pour nous, même si à ce stade, nous n'avons pas été victimes directement d'un attentat qui soit projeté depuis des foyers terroristes africains, mais ça pourrait venir à l'avenir. Plusieurs choses que nous faisons d'abord, c'est la coopération en matière de renseignement avec l'Algérie, mais pas seulement, qui nous permet de nous protéger contre une telle menace et de tels risques. Ensuite, c'est la coopération avec les pays qui sont eux-mêmes parfois victimes de cet élargissement de la sphère d'influence du terrorisme. Et avec ces pays, lorsqu'ils nous sollicitent, par exemple pour acheter des équipements en matière de défense français, nous répondons à leurs sollicitations. Et puis enfin, ce que nous faisons, et je le dis avec une certaine fierté, puisque c'est le ministère des affaires étrangères, le Quai d'Orsay, qui est maître d'œuvre là-dessus, nous développons des écoles régionales pour former des officiers, pour former des policiers. Et il y en a une en particulier qui forme en Côte d'Ivoire des officiers spécialisés dans la lutte antiterroriste. Voilà ce que fait la France pour contenir la menace terroriste en Afrique.
Q - Monsieur le Ministre, merci beaucoup. Deux questions encore, personnelles, politiques. Vous êtes un centriste, je me rappelle toujours Jean D'Ormesson qui était le maître de l'analyse politique, qui disait « méfiez-vous des centristes, ce sont les manœuvriers les plus redoutables », là vous êtes en train de négocier votre budget, c'est combien le budget du Quai d'Orsay ?
R - Le budget, l'année dernière c'était six milliards d'euros, tout compris. Et nous proposons, puisque notre poids à l'extérieur dépend de notre force intérieure et que notre force intérieure dépend de la situation de nos finances publiques, je vais défendre une réduction de ce budget de 400 millions d'euros cette année. Je souhaite ne pas devoir aller plus loin parce que nous avons besoin d'une diplomatie plus forte, nous avons besoin de protéger les trois millions de Français qui sont à l'étranger et je n'oublie pas nos compatriotes qui sont retenus otages ou qui sont détenus arbitrairement. Puis nous avons besoin de porter la voix de la France et de manière différente de ce que nous avons pu faire par le passé puisque sur les réseaux sociaux, il faut être entendus et il faut pouvoir se défendre contre l'agressivité de nos rivaux et de nos adversaires.
Q - Vous êtes un fidèle du président de la République depuis très longtemps. Vous voyez que les fidèles qui deviennent moins fidèles en ce moment, de quel œil vous les regardez ?
R - Vous savez, je crois que la fonction présidentielle est la clé de voûte de la Ve République. Elle doit donc être préservée parce que, s'en prendre à elle, c'est prendre le risque de créer une instabilité qui nous affaiblirait, qui nous désunirait dans un moment où nous avons besoin de renvoyer une image de stabilité et de force.
Q - C'est une erreur, ceux qui demandent son départ dans votre propre camp, dans le bloc central ?
R - Je pense que c'est une erreur de s'en prendre à la fonction présidentielle dans la Ve République.
Q - Merci beaucoup Monsieur le Ministre.
R - Merci à vous.