10/10/2025 | News release | Distributed by Public on 10/10/2025 15:27
Le prix Nobel de la paix 2025 a été remis le 10 octobre à Maria Corina Machado, cheffe de l'opposition vénézuélienne.
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Les spéculations entourant la lauréate ou le lauréat du prix Nobel de la paix ont été particulièrement médiatisées cette année puisque le président américain Donald Trump revendiquait ouvertement le prix. La distinction a finalement été décernée à Maria Corina Machado, cheffe de l'opposition vénézuélienne. Cette ancienne députée, engagée dans la défense de la démocratie, vit actuellement cachée dans son pays. Alexandre Pelletier, professeur au Département de science politique et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Roméo-Dallaire sur les conflits civils et la paix durable expose les enjeux derrière ce choix.
Que révèle l'attribution du prix Nobel de la paix à Maria Corina Machado?
Ce type de sélection est tout à fait dans l'esprit du comité Nobel, qui cherche parfois à mettre en lumière des figures moins médiatisées, mais hautement symboliques. Maria Corina Machado incarne la résistance démocratique dans un pays marqué par l'autoritarisme et la répression. Son combat, mené au péril de sa sécurité, illustre le courage politique.
Il y a toujours des objectifs quand le prix Nobel de la paix est décerné à une personne moins connue. On attire bien sûr l'attention sur une situation: la crise politique au Venezuela, où un nombre important de migrants sortent du pays. Mais un message plus large est aussi envoyé. Le comité a émis une prise de position en faveur des valeurs démocratiques à une époque où elles sont fragilisées, notamment par le président des États-Unis.
D'ailleurs, ce qui m'a frappé ce matin quand j'ai entendu l'annonce téléphonique à madame Machado, c'est la surprise et l'humilité chez cette militante, qui a dit que ce prix ne doit pas la récompenser personnellement, mais qu'il est une reconnaissance pour tout un mouvement de contestation dans son pays. C'est une attitude complètement opposée à celle de Donald Trump, qui souhaitait recevoir ce prix pour flatter son ego. La lauréate fait passer sa cause avant elle-même. Ça rappelle le coût humain que certaines personnes sont prêtes à payer pour la démocratie.
Alexandre Pelletier est professeur au Département de science politique et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Roméo-Dallaire sur les conflits civils et la paix durable.
- Yan Doublet
Le prix Nobel de la paix est-il purement symbolique ou peut-il avoir une incidence concrète pour une cause?
C'est bien sûr très symbolique. Je ne pense pas que ce prix va réussir à régler la crise au Venezuela. Par contre, attirer l'attention sur une cause peut créer un certain engouement médiatique et social. On peut penser au prix Nobel de l'année dernière qui a mis en lumière la dénucléarisation. Quand le gynécologue congolais Denis Mukwege a obtenu le prix en 2018, les médias de toute la planète ont parlé de la violence sexuelle chez les femmes africaines. Au-delà de la portée symbolique, le prix peut donc apporter de la visibilité, voire une légitimité, à une cause. Ça peut réorienter le discours mondial autour d'un enjeu et débloquer des financements.
On peut penser aussi au prix Nobel de 2012 qui avait été attribué à l'Union européenne, en pleine crise de l'euro. D'un côté, on voulait souligner la solidarité européenne et l'importance de la paix maintenue en Europe après la Seconde Guerre. Mais il y avait aussi un message derrière ce choix: l'Union européenne a une valeur. Un tel message ajoute du poids à une balance. C'est un peu ce que fait encore le comité Nobel cette année en soulignant que la démocratie doit être défendue.
Donald Trump a affirmé que le comité Nobel a fait passer la politique avant la paix. Mais est-il possible de réellement dépolitiser ce prix?
Dépolitiser entièrement le prix Nobel de la paix est une tâche presque impossible. Par sa nature même, ce prix touche à des enjeux profondément politiques: conflits, droits humains, démocratie, autoritarisme. Même si le processus de sélection est conçu pour être neutre - les candidatures sont gardées secrètes pendant 50 ans et le comité est composé de 5 membres nommés par le Parlement norvégien -, les choix du comité reflètent inévitablement des valeurs et des orientations idéologiques: les valeurs libérales onusiennes.
Comme le comité du prix Nobel tient beaucoup à sa crédibilité et à sa réputation, il est habituellement peu porté à choisir des personnalités polarisantes. Par exemple, il aurait été surprenant que Donald Trump obtienne le prix, même s'il a contribué à des avancées récentes dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Il faut aussi se rappeler que le président Trump utilise la justice américaine contre ses ennemis politiques et qu'il affaiblit la démocratie dans son pays. Un tel choix pourrait décrédibiliser les Nobel. Il y a eu des choix controversés dans le passé qui ont un peu ébranlé l'institution: Henry Kissinger en 1973, récompensé pour les accords de Paris mettant fin à la guerre du Vietnam, mais contesté pour avoir été un des architectes de ce conflit; ou Abiy Ahmed en 2019, récompensé pour la résolution du conflit entre l'Éthiopie et l'Érythrée, mais contesté pour des atteintes aux droits de l'homme pendant la guerre du Tigré.
Avant la Seconde Guerre mondiale, le prix était habituellement attribué à des individus impliqués dans des conflits interétatiques. Depuis, il a été réorienté vers les organisations ou vers les acteurs de la société civile. Ce virage vise à réduire la politisation du prix. Toutefois, cette année, le comité Nobel a plutôt choisi une avenue politique. Il a choisi de soutenir le combat contre l'autoritarisme, en ces temps incertains pour la démocratie.
Propos recueillis par Manon Plante