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Considérations juridiques au canada liées aux vidéos et images hypertruquées

Considérations juridiques au canada liées aux vidéos et images hypertruquées

11 mars 2025 Bulletin sur la propriété intellectuelle Lecture de 7 min

La prolifération de vidéos et d'images générées par l'IA, ou « hypertruquées », et les considérations juridiques qui les entourent suscitent une attention accrue dans la sphère publique.

Mi-février 2025, Scarlett Johansson a parlé publiquement de son expérience en tant que victime de la technologie des hypertrucages. Une vidéo hypertruquée, dans laquelle semblent apparaître l'actrice et un certain nombre d'autres célébrités, dont Adam Levine et Mila Kunis, condamnant l'antisémitisme, est devenue virale sur Internet[1]. Mme Johannson a depuis lors exhorté les élus américains à adopter une loi pour protéger les personnes contre de telles utilisations de l'intelligence artificielle[2]. Une autre célébrité également victime du phénomène, Taylor Swift, aurait envisagé une action en justice après que des images explicites hypertruquées d'elle ont circulé sur les médias sociaux l'année dernière[3].

Dans notre récent bulletin intitulé Considérations juridiques au Canada liées au « clonage de la voix »[4], nous avons examiné les causes d'action potentielles dont une personne peut se prévaloir au Canada si elle était victime d'un clonage de la voix. Les recours juridiques dont disposent les victimes de clonage de la voix s'appliquent également aux hypertrucages[5].

Causes d'action communes au clonage de la voix et aux hypertrucages

  1. Atteinte à la vie privée : utilisation d'une « ressemblance »

Dans notre précédent bulletin, nous avons expliqué comment diverses lois provinciales sur la protection de la vie privée pouvaient être invoquées si la voix d'une personne était utilisée sans son autorisation[6]. Il en est de même de l'hypertrucage qui pourrait faire l'objet de demandes dans ce sens, étant donné que ces lois provinciales[7] ont été adoptées pour protéger les personnes contre l'utilisation non autorisée de leur « ressemblance ». Par exemple, en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée du Manitoba :

2(1) Celui qui, de façon notable, sans raison valable et sans droit invoqué, porte atteinte à la vie privée d'une autre personne commet un délit civil contre cette autre personne.

3 Sans préjudice de la portée générale de l'article 2, la vie privée d'une personne peut être atteinte […]

c) par l'utilisation sans autorisation, du nom, de la ressemblance ou de la voix de la personne en vue de faire la publicité, de promouvoir la vente ou l'échange de tout bien ou service ou en vue de toute autre forme d'enrichissement pour l'utilisateur si, au cours de l'usage, la personne est identifiée ou identifiable et que l'utilisateur a l'intention d'exploiter le nom, la ressemblance ou la voix de cette personne[8];

[c'est nous qui soulignons]

On pourrait soutenir que le champ d'une telle disposition législative est assez large pour couvrir les actes fautifs liés aux hypertrucages.

  1. Usurpation de personnalité

En ce qui concerne le délit d'usurpation de personnalité, il s'agit de cas où la personnalité d'une personne est exploitée à des « fins commerciales »[9]. Ce délit n'est pas nouveau non plus. Par exemple, dans l'affaire Athans v. Canadian Adventure Camps Ltd. et al.[10], George Athans Jr., un skieur nautique professionnel bien connu, a réussi à faire valoir ce délit contre Canadian Adventure Camps Ltd. et son cabinet de relations publiques (collectivement, « CAC »). CAC avait utilisé un dessin inspiré d'une photographie de M. Athans dans une brochure faisant la promotion d'un camp où le ski nautique était proposé comme l'une des activités. CAC a été déclarée responsable d'avoir tiré un avantage commercial de la personnalité de M. Athans. Étant donné qu'il est prévisible que des acteurs malveillants pourraient tirer commercialement profit de la personnalité d'une personne en recourant à des hypertrucages, une telle utilisation abusive de la technologie des hypertrucages peut donc faire l'objet de demandes pour usurpation de la personnalité.

Dans certaines provinces, les lois sur la protection de la vie privée mentionnent expressément les cas d'exploitation commerciale de l'image d'une personne. Par exemple, en Colombie-Britannique, il existe un délit civil légal d'utilisation non autorisée du nom ou du portrait d'une autre personne à des fins publicitaires :

[Traduction] 3 (2) Constitue un délit, ouvrant droit à une poursuite sans qu'il soit nécessaire de prouver l'existence d'un dommage, le fait pour une personne d'utiliser le nom ou le portrait d'une autre personne dans le but de faire de la publicité ou de promouvoir la vente ou toute autre négociation de biens ou de services, à moins que cette autre personne, ou une personne autorisée à agir en son nom, ne consente à une telle utilisation[11].

[c'est nous qui soulignons]

En Colombie-Britannique, cependant, la question de savoir si l'usurpation de la personnalité doit être reconnue en common law reste ouverte, au vu des débats qui y ont cours quant à la question de savoir si les tribunaux de la Colombie-Britannique doivent reconnaître le délit d'atteinte à la vie privée (dont l'usurpation de la personnalité est une sous-catégorie) en common law. Dans la décision récemment rendue dans Bao v. Welltrend United Consulting Inc.[12], la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a refusé de confirmer la conclusion du tribunal inférieur relativement à l'usurpation de la personnalité[13], mais n'a pas écarté la possibilité que ce délit soit reconnu à l'avenir :

[Traduction] Bien que cette Cour ait récemment laissé entendre dans l'arrêt Tucci v. Peoples Trust Company, 2020 BCCA 246, par. 55, 64-68, qu'il était peut-être temps de réexaminer la situation pour déterminer si la Colombie-Britannique a besoin d'instituer un délit civil d'atteinte à la vie privée en common law pour résoudre la question des violations des renseignements personnels, cela constitue un problème distinct de l'usurpation de la personnalité d'une autre personne à des fins commerciales, qui est une cause d'action réputée couverte par l'article 3 de la Privacy Act. En tout état de cause, la question de savoir si la cause d'action légale pour atteinte à la vie privée en Colombie-Britannique empêche la reconnaissance d'un délit civil de common law est une question épineuse : Situmorang v. Google, LLC, 2024 BCCA 9, par. 88. Comme l'a souligné le juge Horsman dans cette affaire, la résolution de ce problème « exigerait à tout le moins une analyse de la question de savoir si la Privacy Act témoigne d'une intention du législateur d'instituer un code complet et exclusif », par. 88. Il n'est donc pas surprenant que, en l'absence d'observations, le juge n'ait pas procédé à cette analyse. À mon avis, il ne serait pas approprié d'aborder la question en appel dans ces circonstances.

[c'est nous qui soulignons]

Néanmoins, que la question soit traitée en vertu de la loi ou de la common law, les victimes d'hypertrucages au Canada disposeront probablement d'un recours si leur personnalité est exploitée à des fins commerciales.

  1. Fausse impression

Au Canada, le délit de la fausse impression exige que :

  1. la fausse impression donnée d'une personne serait très offensante pour une personne raisonnable; et
  2. la personne avait connaissance de la fausseté de l'information rendue publique et de la fausse impression qu'elle donnerait de l'autre ou a fait preuve d'une insouciance téméraire à cet égard[14].

L'applicabilité du délit de la fausse impression aux hypertrucages est semblable à son applicabilité au clonage de la voix[15]. Cependant, la fausse impression reste un nouveau délit qui, à la date de publication du présent bulletin, n'est pleinement reconnu comme tel que dans la province d'Ontario. Voici un résumé du traitement le plus récent de ce délit dans les neuf provinces de common law au Canada :

Province Reconnaissance du délit de la fausse impression
Terre-Neuve-et-Labrador N'a pas encore été pris en considération
Île-du-Prince-Édouard N'a pas encore été pris en considération
Nouvelle-Écosse Rejeté[16]
Nouveau-Brunswick N'a pas encore été pris en considération
Ontario Reconnu[17]
Manitoba N'est pas reconnu[18]
Saskatchewan N'a pas encore été pris en considération
Alberta N'est pas reconnu[19]
Colombie-Britannique En suspens[20]

Il convient de noter la décision rendue récemment dans Sampson v. TD Insurance Meloche Monnex[21]. Dans cette affaire, la Cour suprême de Nouvelle-Écosse a explicitement déclaré que le délit de fausse impression ne devait pas être reconnu parce qu'il ferait double emploi avec d'autres causes d'action, notamment la diffamation.

Même s'il est possible que le délit de fausse impression ne soit pas reconnu comme une cause d'action partout au Canada, il pourrait néanmoins constituer un possible recours pour les victimes d'hypertrucages à mesure que d'autres juridictions examinent son applicabilité.

Conclusion et lectures complémentaires

Des causes d'action similaires, à savoir l'atteinte à la vie privée, l'usurpation de la personnalité et la fausse impression, s'appliquent probablement aussi bien au contexte du clonage de la voix qu'à celui des hypertrucages. Nous sommes d'avis que la jurisprudence canadienne continuera de se développer dans ce domaine, compte tenu de la prolifération des cas d'hypertrucage et de clonage de la voix au cours de ces dernières années. Nous continuerons de surveiller l'évolution de ces nouvelles causes d'action.

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. a amplement étudié diverses implications juridiques de la technologie des hypertrucages. Pour en savoir plus sur le sujet, veuillez consulter nos publications antérieures sur la technologie des hypertrucages :

[1] Elizabeth Wagmeister, « Scarlett Johansson calls for AI laws after fake video of celebrities condemning KanyeWest's antisemitism goes viral », CNN (13 février 2025).
[2] Idem.
[3] Imran Rahman-Jones, « Taylor Swift deepfakes spark calls in Congress for new legislation», BBC (27 janvier 2024) (en anglais).
[4] Pablo Tseng, Carina Chiu et Aki Kamoshida, « Considérations juridiques au Canada liées au « clonage de la voix » », McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. (6 décembre 2024), disponible ici.
[5] À la date du présent bulletin, nous n'avons relevé aucune affaire civile au Canada dans laquelle une victime de la technologie des hypertrucages a intenté une action en justice contre un créateur de contenu hypertruqué. Cependant, une décision de la chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, c. Larouche, 2023 QCCQ 1853 nous offre un exemple de situation où le tribunal se penche sur l'infraction découlant de la création de vidéos hypertruquées dans le contexte de la pornographie juvénile. Nous avons abordé cette décision dans un bulletin précédent : Pablo Tseng et Paola Ramirez, « What Has the Law Done About « Deepfake »? », McMillan (10 mai 2023), accessible ici (en anglais).
[6] Supra note 4.
[7] Privacy Act, RSBC 1996, c 373 (en anglais); The Privacy Act, RSS 1978, c P-24 (en anglais); Loi sur la protection de la vie privée, CPLM c P125; Article 35 CCQ, RLRQ c CCQ-1991; Privacy Act, RSNL 1990, c P-22 (en anglais).
[8] Loi sur la protection de la vie privée, CPLM c P125, art. 3 et 4.
[9] Pablo Tseng, Carina Chiu et Aki Kamoshida, « Considérations juridiques au Canada liées au 'clonage de la voix' », McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. (6 décembre 2024), accessible ici; Gould Estate v. Stoddart Publishing Co., 1996 CanLI 8209 (ONSC).
[10] Athans v. Canadian Adventure Camps Ltd. et al., 1977 CanLII 1255 (ON SC).
[11] Privacy Act, RSBC 1996, c 373.
[12] Bao v. Welltrend United Consulting Inc., 2025 BCCA 3, il s'agit d'un appel d'une décision, 2023 BCSC 1566, à laquelle nous avons fait référence dans notre bulletin précédent, « Considérations juridiques au Canada liées au 'clonage de la voix' », accessible ici.
[13] Il convient de noter que la décision de la BCCA de ne pas confirmer la décision du tribunal inférieur était fondée sur le fait que ce délit n'avait pas été plaidé par le demandeur et que le tribunal inférieur avait indûment entrepris sa propre analyse à cet égard.
[14] Yenovkian v Gulian, 2019 ONSC 7279, par. 170.
[15] Pablo Tseng et Paola Ramirez, « What Has the Law Done About « Deepfake »? », McMillan (10 mai 2023), accessible ici (en anglais).
[16] Sampson v. TD Assurance Meloche Monnex, 2025 NSSC 19.
[17] Yenovkian v. Gulian, 2019 ONSC 7279, dont il a été question plus récemment dans Fowlie v. Spinney, 2024 ONSC 5080.
[18] ONEAC Corporation v. Riley, 2023 MBKB 73 mentionne que [Traduction] « le Manitoba n'a pas encore reconnu l'existence du délit ».
[19] Benison v. McKinnon, 2021 ABQB 843; bien que le délit de « fausse impression » en particulier n'ait pas encore été pleinement examiné en Alberta, cette décision indique que l'Alberta ne reconnaît pas l'atteinte à la vie privée en common law.
[20] Bien que dans Durkin v. Marlan, 2022 BCSC 193, la cour se soit livrée à un exercice hypothétique d'application du délit de la fausse impression, la question peut également lui être posée de savoir s'il existe un délit civil d'atteinte à la vie privée en common law en Colombie-Britannique : Veeken c. Colombie-Britannique, 2023 BCSC 943.
[21] Sampson v. TD Assurance Meloche Monnex, 2025 NSSC 19.

Par Carina Chiu, Pablo Tseng et Aki Kamoshida (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu'un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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