09/16/2025 | Press release | Archived content
Au Canada, au Brésil, en Colombie, en Indonésie, en Australie et ailleurs, des géants du numérique tels que Google et Meta ont déployé des stratégies de lobbying agressives pour bloquer ou affaiblir des lois visant à réguler les plateformes numériques - souvent à travers des réseaux d'influence opaques et des campagnes de désinformation. La principale victime ? Le droit du public à une information fiable. Une enquête inédite, intitulée La Main invisible des géants de la tech, révèle les tactiques de ces entreprises dans plus de 20 articles, publiés entre le 9 et le 24 septembre par un consortium international de 17 médias implantés dans 13 pays.
Piloté par le média brésilien Agência Públicaet le Centre latino-américain pour le journalisme d'investigation (CLIP), avec l'appui de Reporters sans frontières (RSF), cette enquête révèle les efforts déployés à l'échelle mondiale pour réécrire ou bloquer des lois destinées à protéger les données des utilisateurs, les enfants et le journalisme lui-même.
Un consortium international a ainsi recensé près de 3 000 actions de lobbying de la part des grandes entreprises du numérique, visant gouvernements et parlements à travers le monde. Résultat : une base de donnéespublique et interactive. Plus de 40 journalistes - issus de 17 médias travaillant dans 13 pays - ont participé à ce projet qui a duré neuf mois et donne lieu à la publication de plus de 20 enquêtes à partir du 9 septembre. RSF a contribué en tant que conseiller technique sur les législations, les réglementations et les tactiques de lobbying des plateformes numériques cherchant à entraver la régulation de l'espace informationnel en ligne.
"Cette enquête sans précédent, menée avec l'expertise de RSF, démontre l'influence considérable des grandes entreprises technologiques sur des décisions stratégiques qui affectent directement l'avenir du journalisme, en faisant obstacle à des lois démocratiques ou en s'opposant à une rémunération équitable des contenus journalistiques. Ce projet confirme la nécessité de rééquilibrer un rapport de force en faveur des grandes plateformes numériques, qui nuit à la santé des sociétés démocratiques. Si les décideurs cèdent au lobbying des géants de la tech, c'est l'avenir du journalisme qui est menacé, et avec lui le droit des citoyens à accéder à une information fiable.
L'enquête met en lumière la choquante portée mondiale de ces efforts contre la réglementation. Au Brésil, Google et Meta ont orchestré une offensivecontre le projet de loi sur les "fake news" (PL 2630). Présenté en 2020, il visait à lutter contre la désinformation, à instaurer la transparence dans la publicité à caractère politique et la modération des contenus, ainsi qu'à garantir une rémunération pour les contenus journalistiques que les plateformes utilisent. Les entreprises ont faussement affirmé que la loi allait "interdire la Bible", ont lancé un déluge de publicités payantes et organisé plus de 200 réunions avec des parlementaires pour retarder l'adoption du texte. Un succès, puisqu'en 2023, le projet de loi a finalement été abandonné. À l'autre bout du monde, en Indonésie, Google a fortement attaqué la réglementation qui comptait imposer une forme de compensation aux éditeurs de presse utilisant sa plateforme. Google parvient ainsi à éviter des obligations contraignantes en matière de transparence de ses algorithmes et de partage des revenus à l'échelle du secteur.
L'enquête révèle aussi un réseau d'influencedécentralisé, opérant via d'anciens responsables politiques, des associations professionnelles et des groupes écrans qui dissimulent donc l'implication directe des plateformes. Exemple marquant de pantouflage avec l'ancien président brésilien Michel Temer (2016-2018), qui a servi d'intermédiaire officieuxpour les géants du numérique lors des négociations sur la régulation des plateformes.
Les journalistes d'investigation ont identifié pas moins de 2 977 actions de lobbying menées entre 2019 et 2025 par des géants de la tech dans dix pays et l'Union européenne, impliquant 1 414 représentants d'entreprise et 2 506 responsables publics. Leurs tactiques étaient diverses et variées.
Pantouflage: recruter d'anciens responsables publics pour défendre les intérêts des entreprises.
Astroturfing: financer des initiatives citoyennes ou universitaires prétendument indépendantes, mais opposées à la régulation pour aller dans le sens des intérêts des grandes plateformes.
Évasion juridique par extraterritorialité: affirmer que les lois nationales ne s'appliquent pas lorsque les données sont traitées à l'étranger, un argument utilisé notamment en Équateur et en Colombie, pour s'opposer à l'application des lois nationales sur la protection de la vie privée.
Campagnes de désinformation: propager l'idée que la régulation équivaut à de la censure ou menace l'innovation, un récit répété dans le monde entier.
Les lois obligeant les grandes plateformes à payer pour les contenus journalistiques qu'elles utilisent - appelées codes de négociation - constituent un champ de bataille majeur. Google et Meta ont tenté de bloquer ou d'affaiblir ces initiatives en signant des accords confidentiels avec certains médias ; en lançant des campagnes de communication dénonçant une bureaucratie excessive ; et en exerçant des pressions diplomatiques par l'intermédiaire de gouvernements étrangers.
L'enquête examine également Google News Showcase, un agrégateur de contenus journalistiques présenté comme un investissement d'un milliard de dollars dans le journalisme. En pratique, il a rendu les rédactions financièrement dépendantes des revenus de Google, et a affaibli les pourparlers sur les codes de négociation. En outre, cet agrégateur pourrait être utilisé par l'entreprise comme un bouclier contre les revendications liées aux droits d'auteur, au regard de l'entraînement de ses modèles d'intelligence artificielle (IA).
La Main invisible des géants de la techa été pilotée par Agência Públicaet CLIP avec des partenaires dans 13 pays, dont Cuestión Pública(Colombie) ; Daily Maverick(Afrique du Sud) ; El DiarioAR(Argentine) ; El Surti(Paraguay) ; Factum(Salvador) ; ICL(Brésil) ; Investigative Journalism Foundation(Canada) ; La Bot(Chili) ; Lighthouse Reports(collectif international) ; Núcleo(Brésil) ; Primicias(Équateur) ; TechPolicy.press(États-Unis) ; N+ Focus(Mexique) ; Tempo(Indonésie) ; The Crikey(Australie). Outre RSF, ce consortium d'investigation a aussi reçu le soutien de l'organisation de défense des droits humains El Veinte(Colombie).