« Remplacer le kérosène n'est pas une option, c'est une obligation. La question, c'est comment y parvenir, et à quelle échelle », lance Eloa Guillotin, cofondatrice de Beyond Aero, entreprise à l'origine du premier avion d'affaires électrique à propulsion hydrogène. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a acté une trajectoire du secteur vers la neutralité carbone d'ici à 2050 qui représente 2,5% des émissions mondiales de CO2.
La France, deuxième puissance aéronautique mondiale, s'est, elle, fixé comme objectif de concevoir le premier avion bas carbone d'ici à 2030. Pour y parvenir, l'État avec le plan d'investissement France 2030, piloté par le Secrétariat général pour l'investissement, accompagne fortement les efforts de la filière (architectures d'aéronefs, propulsion hybride ou électrique, matériaux allégés, concepts aérodynamiques avancés) qui sont synchronisés via le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC).
Au total, près de 300 millions d'euros sont mobilisés par an et pilotés par la DGAC pour faire de l'aéronautique un levier majeur de la réindustrialisation, de la compétitivité et de la transition écologique.
France 2030 soutient également des acteurs émergents comme Beyond Aero, Elixir Aircraft, Aura Aero ou encore, Ascendance Flight Technologies, VoltAero et BlueSpirit avec l'ambition d'en transformer quelques uns en compétiteurs de rang mondial mondiaux et contribuer à se rapprocher de l'objectif de neutralité carbone du transport aérien.
Cette neutralité passe par un mélange de solutions. « Nous allons vers un mix : hydrogène décarboné, hybride, carburants durables… et non un carburant unique comme aujourd'hui avec le kérosène. », assure Eloa Guillotin.
À court terme, les carburants d'aviation durables (SAF), issus de biomasse non alimentaire, de déchets agricoles ou encore produits de synthèse à partir d'hydrogène décarboné et de CO ₂, représentent la piste la plus immédiate pour réduire les émissions (en moyenne de 80% sur l'ensemble de leur cycle de vie).
France 2030 accompagne la structuration d'une filière nationale avec l'accompagnement des études préalables aux sites de production de SAF au Havre (Kereauzen), Saint-Nazaire (TakeKair), Rouen (DéZir) ou encore dans le bassin de Lacq (Bio T Jet), avec un objectif de production de 270 kilotonnes par an dès 2030, soit 750 000 tonnes de CO₂ évitées.
Beyond Aero : l'hydrogène décarboné en ligne de mire
À plus long terme, l'hydrogène décarboné et l'électrification sont les deux ruptures technologiques pour l'aviation. Beyond Aero, entreprise toulousaine fondée en 2020 et lauréate de France 2030, développe un avion d'affaire électrique à propulsion hydrogène de 6 à 9 places, destiné au marché régional et à l'aviation d'affaires, pouvant couvrir des liaisons européennes grâce à ses 1 500 km d'autonomie.
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L'avion d'affaires à hydrogène de Beyond Aero - Source : Beyond Aero
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L'avion d'affaires à hydrogène de Beyond Aero - Beyond Aero
En février 2024, l'entreprise a fait voler le premier prototype habité français propulsé par hydrogène-électrique. « L'hydrogène ne rejette que de l'eau, permet d'aller cinq fois plus loin que les batteries électriques. C'est une technologie silencieuse, avec des coûts d'opération réduits et très peu de maintenance. Mais il oblige à repenser entièrement l'architecture de l'avion avec des réservoirs quatre fois plus gros que pour du kérosène, une propulsion à pile à combustible, des systèmes cryogéniques complexes », détaille Eloa Guillotin. Le principal défi est non seulement la taille des réservoirs mais aussi les infrastructures nécessaires à son stockage.
Aura Aéro : l'électrique au service des territoires enclavés
En ce qui concerne les batteries électriques, « pour le moment, le verrou principal reste la masse des batteries qu'il faut pour emmagasiner l'énergie nécessaire pour un vol long », assure Lionel Bourgeois, qui chapeaute le programme FILAE (Filière aéronautique électrique) initié par l'IRT Saint Exupéry. Lancé en 2024 et financé par l'État via France 2030 et mobilisant une grande partie des acteurs du secteur, FILAE réunit chercheurs, start-up et industriels pour lever les freins à l'électrification du transport aérien.
Avant de s'étendre sur les gros porteurs, la révolution électrique passe par des petits avions, véritables laboratoires technologiques capables de mettre en marche cette transition. Le constructeur toulousain, membre du programme FILAE, Aura Aero a par exemple conçu un avion biplace 100 % électrique destiné à la formation des pilotes civils et militaires et à la voltige et avec une autonomie de 1h30 de vol.
D'ici à 2030, Aura Aero lancera un avion régional de 19 places, propulsé par 8 moteurs électriques et deux turbogénérateurs thermiques. Soutenu par France 2030, le moteur hybride d'ERA affiche jusqu'à 80 % de réduction d'émissions de CO₂ par rapport aux avions thermiques de même catégorie.
Il vise des vols de 1h à 2h30 et permettra de relier des territoires enclavés non desservis par le train. « Ce type d'appareil, avec des coûts d'exploitation réduits, permettrait de proposer des billets autour de 100 à 150 euros pour un Nice-Calvi », détaille son fondateur et PDG Jérémy Caussade. Selon lui, la décarbonation est le seul scénario pour la baisse des émissions de CO2 : « se passer d'avion est une illusion, mais décarboner est une réalité », résume Jérémy Caussade. Une réalité déjà en cours.
Pour en savoir plus sur toutes les innovations soutenues par l'État avec France 2030, découvrez notre dossier complet sur le plan d'investissement France 2030.